Pérou : impossible sortie de crise ?
La crise politique qui touche le Pérou a été marquée par une escalade de la violence ces dernières semaines. À Lima, les manifestants demandent une transformation en profondeur des institutions.
Depuis la destitution de Pedro Castillo le 7 décembre dernier, le Pérou est plongé dans une profonde crise politique. Si le pays est habitué aux changements de chefs d’Etat depuis plusieurs années, les évènements de ces dernières semaines marquent un point de rupture sans précédent.
Les manifestations qui ont débuté en décembre ont en effet atteint une violence inouïe depuis le début du mois de janvier. Les affrontements avec la police, qui se sont concentrés jusque-là dans les provinces du sud du pays, ont fait au moins 48 morts et plus de 500 blessés. Le lundi 9 janvier à été marqué par une escalade de la violence alors que 17 manifestants ont perdu la vie à Juliaca. Plus tard dans la journée, un policier a perdu la vie, brûlé vif par certains manifestants alors qu’il patrouillait. Deux jours après, l’aéroport de Cusco, fréquenté par de nombreux touristes, a été pris d’assaut par des manifestants, forçant l’intervention de la police. Les protestations ne semblent pas faiblir et le gouvernement péruvien paraît dépassé et incapable de trouver une issue à cette crise politique.
Les protestations sont menées par les soutiens de Pedro Castillo, qui réclament sa libération. L’ex-président faisait l’objet de plusieurs accusations de corruption et était menacé d’une procédure de destitution. Pour y échapper, Pedro Castillo a essayé de dissoudre l’assemblée mais a été arrêté quelques heures après et formellement destitué par le Congrès. Durant sa première année de mandat, l’ex-président s’était montré incapable de gouverner, provoquant pas moins de 80 remaniements ministériels alors que plusieurs de ses proches étaient accusés de corruption. L’agenda politique était paralysé et aucune réforme majeure n’avait pu voir le jour. Le Congrès avait déjà essayé de destituer à deux reprises Pedro Castillo mais n’avait pas réussi à obtenir la majorité nécessaire.
Malgré le ressentiment du Congrès envers Pedro Castillo, la procédure de destitution a été respectée et la transition vers l’investiture de la vice-présidente a été faite dans les règles. Cependant, les partisans de Pedro Castillo ont rapidement dénoncé un coup d’Etat du Congrès. La plupart des partisans de Pedro Castillo viennent du sud rural et agricole et se sentaient représentés par l’ex-président. Critique des élites de Lima, il portait la voix du sud, souvent ignoré par la capitale. Les manifestations ont émané de ces régions et la répression violente de la police a été vécue comme une trahison de la part de Dina Boluarte, pourtant du même parti que Pedro Castillo (Peru Libre).
Depuis le début de cette crise, la présidente Dina Boluarte a écarté l’hypothèse de sa démission. Elle a en revanche proposé d’organiser des élections présidentielles anticipées en 2024 (prévues initialement pour 2026). Mais cette proposition n’a pas suffit à apaiser la situation. Les manifestants réclament en effet sa démission mais aussi la dissolution du Congrès, des élections présidentielles dès 2023 et une nouvelle Constitution. Dina Boluarte est pour l’instant soutenue par le Congrès, contrôlé par l’opposition. En cas de destitution, c’est le président du Congrès qui deviendrait président et ni lui ni l’opposition ne semblent vouloir de ce poste aujourd’hui.
La présidente est visée depuis la semaine dernière par une enquête du procureur général, mais les charges à son encontre (“génocide, homicides qualifiés et blessures graves”) semblent démesurées et constituent surtout une pression supplémentaire.
Dina Boluarte a décrété ce dimanche 15 janvier un état d’urgence à Lima et dans trois provinces du sud, ce pour une durée de 30 jours, pendant lesquels l’armée péruvienne est autorisée à assurer le maintien de l’ordre. Cette mesure n’a cependant pas affaiblit la mobilisation puisque pour la première fois depuis le début de cette crise, les manifestants se sont rendus à Lima ce mardi, avec l’intention de porter ce conflit devant les institutions du pays. Des convois de manifestants provenant du sud étaient attendus hier pour une grande marche en vue de “prendre Lima”. Même si les manifestations semblent avoir été globalement contenues, de nouveaux affrontements ont eu lieu dans les rues de Lima et un important incendie, dont l’origine est inconnue, s’est déclaré dans un bâtiment historique de la place San Martín.
Dans la soirée, Dina Boluarte a remercié la police pour avoir contenu la mobilisation et a renouvelé son appel au calme. La présidente n’a cependant fait aucune concession, dénonçant les actes violents des manifestants et affirmant que “leur agenda social ne correspond pas à ce dont le pays a besoin”.
Pour la plupart des observateurs, la crise politique que connaît le Pérou n’est pas prête de s’atténuer, à moins d’importants bouleversements institutionnels. En atteignant Lima, la mobilisation a pris une autre ampleur et les revendications des manifestants vont plus loin que la réhabilitation de Pedro Castillo ou la démission de Dina Boluarte. La protestation s’étend désormais à un mécontentement général vis-à-vis des institutions politiques et de la répression policière. La grande majorité des Péruviens souhaite que le fonctionnement des institutions soit revu de fond en comble. Mais pour ceux qui manifestent, ce basculement ne peut pas être conduit par Dina Boluarte ni par le Congrès tel qu’il est composé actuellement.
L’instabilité politique qui caractérise le Pérou depuis 2016 a en effet nourrit une défiance des Péruviens à l’égard des institutions et en particulier du Congrès. Le pays a connu 5 présidents différents depuis 2018 et cette situation est fortement liée au pouvoir du Congrès qui dispose de facto d’un droit de veto sur l’exécutif. En faisant une interprétation large de la Constitution, les membres du Congrès se sont en effet depuis 2016 procuré le droit de destituer un président sur la base d’une accusation de corruption. Une situation qui a mené à un affrontement institutionnel sans fin entre les branches législative et exécutive du gouvernement.
De plus, la composition du Congrès est très mal perçue par les Péruviens, qui estiment que nombre de ses membres ont abandonné leurs fonctions de représentation et s’attachent plutôt à accorder des faveurs au secteur privé en échange de soutiens financiers. Ce manque de représentation est particulièrement ressenti dans les provinces du sud du pays. La méfiance des Péruviens envers les institutions politiques a ainsi atteint un point de non-retour. Les évènements de ces dernières semaines ont précipité le besoin d’une refonte constitutionnelle majeure, qui semble aujourd’hui indispensable pour que le pays soit à nouveau gouvernable.