CELAC : le Brésil veut relancer l'intégration régionale

Le septième Sommet de la CELAC s’est tenu cette semaine à Buenos Aires, marqué par le retour du Brésil et la volonté de Lula de redynamiser les initiatives d'intégration régionale.

L'Argentin Alberto Fernandez, au centre droit, et le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, au centre gauche, lors d'une photo de groupe au Sommet Celac à Buenos Aires le 24 janvier. Photographe : Anita Pouchard Serra/Bloomberg

Le septième Sommet de la CELAC (Communauté des Etats Latino-Américains et des Caraïbes) a réuni quinze dirigeants de la région afin de renforcer les initiatives d’intégration, dans un sommet qui marquait le retour de Lula et du Brésil sur la scène diplomatique latino-américaine.

Lula, l’un des fondateurs de la CELAC en 2010, a déclaré que le Brésil était “de retour dans la région” et prêt à réactiver des processus de régionalisation au point mort depuis plusieurs années tels que le MERCOSUR, l’UNASUR et la CELAC elle-même. Le président brésilien a rappelé que l’intégration régionale devait permettre d’établir un meilleur dialogue entre les pays et de renforcer les institutions nationales, face à une montée de l’extrême droite dans la région et les attaques contre la démocratie, rappelant les événements de Brasilia du 8 janvier dernier.

Juste avant le Sommet, Lula s’était réuni avec Alberto Fernandez, le président argentin. Les deux dirigeants se sont engagés à renforcer leurs relations bilatérales et à développer des partenariats stratégiques, notamment dans le secteur énergétique (gaz principalement) et industriel. Ils ont aussi évoqué la création d’une monnaie commune aux deux pays qui pourrait s’étendre à terme au MERCOSUR. Une proposition qui a cependant laissé de nombreux observateurs sceptiques.

Le Sommet a donné lieu à une déclaration commune réaffirmant “l'engagement des membres de la CELAC à faire avancer de manière décisive le processus d'intégration” et soulignant le besoin de soutiens financiers internationaux en faveur du renforcement des démocraties, de la lutte contre le réchauffement climatique et pour soutenir des économies durement touchées par la crise sanitaire et l’inflation.

Alors que l’année 2022 a été marquée par un nouveau “virage à gauche” dans la région, le Sommet de la CELAC devait ainsi permettre d’affirmer l’unité politique des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi de rétablir le leadership du Brésil dans la région. L’agenda régional reste en effet fortement dépendant du Brésil, tel que l’a montré la période 2018-2022, durant laquelle les initiatives d’intégration ont stagné, alors que le Brésil de Jair Bolsonaro tournait le dos à la région. L’ex-président du Brésil avait même décidé de quitter la CELAC en 2020 sous prétexte que cette organisation supportait des régimes autoritaires comme Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.

Cette semaine, en privilégiant une venue au sommet de la CELAC plutôt qu’à celui de Davos, Lula a souhaité montrer son engagement en faveur de l’agenda régional. Un leadership nécessaire pour faire avancer des sujets de la plus haute importance comme la lutte contre la déforestation, l’intégration économique et la nécessité de porter une voix commune sur les crises démocratiques dans la région.

Le Sommet avait lieu alors que les démocraties latino-américaines restent fragiles, à l’image des graves crises politiques au Pérou, en Haïti, des négociations en cours au Venezuela et de la montée des autoritarismes en Amérique centrale. La majorité des dirigeants présents au Sommet ont également apporté leur soutien à Cuba et au Venezuela, critiquant la politique de sanctions économiques américaines et leur impact sur les populations.

Cependant, malgré le leadership du Brésil et le “virage à gauche” de 2022, l’alignement politique a du mal à se matérialiser concrètement. Les évènements au Pérou ont fait émergé des divergences lors du Sommet. Le président du Chili, Gabriel Boric a ainsi condamné la répression policière au Pérou et a appelé la présidente Dina Boluarte à “changer de cap”, ce qui a provoqué des tensions entre les deux pays. Il a également dénoncé le non-respect des droits de l’Homme et de la démocratie au Nicaragua, demandant à ce que les membres de l’opposition détenus par le régime de Daniel Ortega soient libérés. Une position qui ne fait pas l’unanimité au sein des membres de la CELAC.

Luis Lacalle Pou, président de l’Uruguay et l’un des seuls leaders de droite présents au Sommet, a également été critique des dirigeants de la région qui “ne respectent pas la démocratie ni les droits de l’Homme”, visant particulièrement Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. De plus, il a demandé à ce que la régionalisation en Amérique latine ne se base pas sur un alignement idéologique politique mais plutôt sur un rapprochement économique, demandant que des actions concrètes soient prises dans ce sens :

"N'est-il pas temps d'être sincère dans nos relations et pour la CELAC de promouvoir une zone de libre-échange [...] du Mexique au sud de l'Amérique du Sud ? Ne pouvons-nous pas aller dans cette direction ? […] Nous avons la possibilité de commercer librement. Beaucoup de nos économies sont complémentaires, et je suis sûr que nous pourrions progresser dans ce sens"

Conçue comme une alternative à l’OEA (Organisation des Etats Américains, pilotée par les Etats-Unis), la CELAC a toujours été marquée à gauche idéologiquement. La CELAC a accueilli Cuba parmi ses membres dès sa création, alors que le pays était exclu de l’OEA. Elle offre également une plateforme de dialogue avec le reste du monde, notamment l’Union européenne et la Chine.

Si ce septième Sommet est un signe positif de reprise du dialogue entre les pays d’Amérique latine, beaucoup de progrès restent à faire pour concrétiser les processus d’intégration régionale, notamment sur le plan économique.

Comme l’illustre le MERCOSUR, aujourd’hui à un point de rupture, l’intégration économique régionale stagne, voire recule, depuis plusieurs années. La région est caractérisée par un très faible commerce intrarégional, des coûts commerciaux élevés, résultant de politiques tarifaires obsolètes et de réseaux d’infrastructures peu efficaces. De plus, les principaux partenaires de la majorité des pays latino-américains sont aujourd’hui la Chine et les Etats-Unis. Depuis une dizaine d’années, les pays latino-américains ont en effet cherché à signer des accords commerciaux extrarégionaux plutôt qu’avec leurs voisins directs.