Le Brésil sous le choc après l'attaque contre le pouvoir

L'invasion de la Place des Trois Pouvoirs à Brasilia par les militants bolsonaristes souligne les tensions politiques au Brésil et la fragilité de la démocratie.

EVARISTO SA, EVARISTO SA | Crédits : AFP via Getty Images

Ce dimanche 8 janvier, plusieurs milliers de personnes ont attaqué la place des Trois Pouvoirs à Brasilia, siège du Palais présidentiel, de la Cour Suprême et du Congrès brésilien. Les militants, soutiens de Jair Bolsonaro, ont envahi et saccagé les lieux qui étaient ce dimanche quasiment vides. L’événement a rappelé en de nombreux points l’attaque du Capitole à Washington D.C. le 6 janvier 2021 par les soutiens de Donald Trump.

Protestant contre le retour au pouvoir de Lula et dénonçant une fraude électorale, les militants réclamaient depuis le second tour une intervention de l’armée afin d’empêcher l’investiture de Lula. Plusieurs heures après le début de cette attaque, la police militaire a repris le contrôle des lieux et a procédé à de nombreuses arrestations. Plus de 300 personnes ont ainsi été arrêtées dimanche soir. Le lendemain, environ 1.200 personnes qui s’étaient établis dans des campements ont également été arrêtés.

Même si elle était redoutée depuis plusieurs semaines, cette insurrection sans précédent à surpris et choqué. D’une part parce que l’investiture de Lula avait été actée une semaine auparavant et que le risque d’une telle attaque semblait moindre (alors qu’elle avait eu lieu deux semaines avant l’investiture de Joe Biden aux Etats-Unis). D’autre part, parce que Jair Bolsonaro était parti en Floride le 30 décembre dernier, refusant de participer à la passation de pouvoir avec son successeur. Un exil qui sonnait alors comme l’aveu de sa défaite. Cependant, les plus fervents supporters de l’ex-président continuaient à camper devant les casernes militaires un peu partout dans le pays, réclamant une intervention de l’armée. Dimanche, leur passage à l’acte qui semblait préparé et coordonné, à choqué par son ampleur, la facilité avec laquelle ces militants ont pu entrer dans les lieux, peu protégés ce jour là et par la violence des actes de vandalisme. Les bâtiments de la place des Trois-Pouvoirs sont emblématiques de l’identité moderne du Brésil et abritent aussi de nombreuses œuvres d’art, dont la plupart ont été vandalisées.

En déplacement dans l’Etat de Sao Paulo, Lula a vite réagi dans une allocution télévisée, dénonçant une “attaque contre la démocratie”, perpétrée par des “vandales fascistes”. Le président brésilien a également dénoncé l’inaction de la police sur place alors que le gouverneur de Brasilia et soutien de Bolsonaro, Ibaneis Rocha, a été suspendu de ses fonctions pour une durée de 90 jours par la Cour Suprême.

De nombreuses voix ont apporté leur soutien à Lula et à son gouvernement, tant sur le plan national qu’international. Lundi soir, le président s’est réuni à Brasilia avec les juges de la Cour Suprême, plusieurs députés et gouverneurs afin de signer une déclaration “en défense de la démocratie”. Sur le plan international, le soutien à Lula semble avoir fait l’unanimité. Le président américain Joe Biden s’est entretenu au téléphone ce lundi avec son homologue brésilien et a renouvelé publiquement sa confiance envers la démocratie brésilienne. Joe Biden a invité Lula pour une rencontre diplomatique à Washington en février, qui devrait permettre de réaffirmer la légitimité du président brésilien. La Russie a également condamné l’insurrection des militants bolsonaristes par la voix du porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov. Depuis la Floride, Jair Bolsonaro n’a condamné qu’à demi-mots l’attaque de ce dimanche, affirmant qu’elle ne constituait pas une forme démocratique de manifestation. Il a par ailleurs rejeté toute responsabilité dans l’organisation de cette offensive.

La tentative d’insurrection des bolsonaristes rappelle à quel point le Brésil est divisé. Les résultats du second tour de l’élection présidentielle, plus serrés que prévu, avaient témoigné d’une profonde polarisation entre les deux camps. Les soupçons de fraude électorale agités par l’ex-président durant toute la campagne ainsi que son silence après l’élection de Lula ont conforté de nombreux partisans d’extrême droite dans leur conviction que l’élection de Lula n’était pas légitime.

Cependant, l’échec de l’insurrection de dimanche et le soutien unanime apporté à Lula semblent avoir renforcé le président brésilien dans sa position. Les arrestations de plus de 1.500 militants dès le lendemain des événements ont renforcé l’autorité du président. De plus, les rassemblements en faveur de la démocratie qui ont eu lieu ces derniers jours, montrent un soutien important au gouvernement. La promesse de réconciliation des Brésiliens, faite par Lula le jour de son investiture, sera néanmoins difficile à tenir. Même si une large majorité des Brésiliens ont condamné les évènements de ce dimanche, une grande partie de la droite continue à soutenir Jair Bolsonaro.

Les premiers mois de la présidence de Lula vont ainsi être impactés par cette attaque contre la démocratie brésilienne. Le président a signé un décret mettant sous tutelle fédérale l’Etat de Brasilia jusqu’au 31 janvier. Un statut qui devrait bousculer l’agenda politique de Lula et repousser l’ouverture de séance du Congrès, initialement prévue le 1er février. Une enquête interne doit être menée par le Ministère de la Défense pour déterminer la responsabilité de la police et de l’armée dans l’insurrection de dimanche. D’anciens haut-gradés militaires ont en effet participé aux manifestations et la police sur place est soupçonnée d’avoir laisser faire, voire encourager, les militants bolsonaristes.

Avec un Congrès où l’opposition sera majoritaire, le troisième mandat de Lula s’annonçait déjà compliqué. Le président devra redoubler d’efforts pour apaiser les tensions et rassembler les forces politiques autour de son programme ambitieux.