L'Amérique latine face à la guerre en Ukraine
Attachée au principe de non-alignement, la région continue de garder ses distances avec un conflit qui a pourtant des conséquences directes en interne.
Un an après le début de la guerre en Ukraine, l’Amérique latine reste hésitante à s’engager sur ce conflit. Pourtant, les conséquences de la guerre sur les économies latino-américaines mettent la pression sur les gouvernements de la région. Mais l’attachement aux principes de non-intervention et de souveraineté ne se matérialise pas pour autant sur la scène internationale.
Les acteurs européens et américains ont pu le constater ces dernières semaines. Le Chancelier allemand Olaf Scholz (qui s’est rendu en Amérique du sud en février) et le président Joe Biden ont tous les deux demandé au Brésil, à l’Argentine et à la Colombie de fournir des munitions pour supporter l’effort de guerre ukrainien. Mais les dirigeants de ces trois pays ne souhaitent pas engager leur pays dans une telle voie. Le Mexique, par la voix de son président AMLO, a même critiqué l’envoi de tanks Leopard par l’Allemagne en Ukraine. Difficile donc pour l’Europe et les Etats-Unis d’obtenir un soutien concret de l’Amérique latine.
En réalité, la région est divisée sur la position à adopter par rapport à ce conflit. On peut ainsi distinguer quatre groupes de pays : ceux exprimant une condamnation forte de l’invasion russe en Ukraine (Chili, Colombie et Costa Rica), ceux qui condamnent la Russie mais souhaitent rester neutres (Mexique et Brésil), ceux qui légitiment indirectement l’attaque russe tout en restant neutres (Salvador principalement) et ceux qui soutiennent explicitement la Russie (Bolivie, Cuba, Nicaragua et Venezuela).
Historiquement loin des conflits internationaux, l’Amérique latine cultive le non-alignement tout en cherchant une position d’équilibre entre les influences américaine, chinoise et russe. Certains Etats souhaitent notamment se laisser une porte ouverte avec la Russie qui reste un partenaire commercial dans des secteurs clés. Quelques semaines avant le début du conflit en février 2022, les présidents de l’Argentine et du Brésil s’étaient d’ailleurs rendus à Moscou dans l’espoir de renforcer la coopération commerciale.
La Russie était jusque-là un fournisseur important de gaz et d’engrais en Amérique du sud ; des intrants essentiels à l’activité économique dans la région. Les sanctions occidentale sur ces produits ont provoqué une inflation dans toute l’Amérique latine et des situations de pénurie, notamment sur les engrais. La hausse des prix a engendré beaucoup de mouvements de contestations en interne et a accentué la pression sur des gouvernements déjà critiqués pour leur gestion de la crise sanitaire. Et à mesure que le conflit dure et impacte l’économie mondiale, la position de neutralité des chefs d’Etat latino-américains semble de moins en moins tenable.
Certains pays, le Brésil en tête, proposent une solution alternative : un “club” de pays prêts à favoriser des négociations de paix. Une solution qui pourrait obtenir le soutien de nombreux pays en développement mais aussi de la Chine, qui a récemment formulé une proposition similaire.
Le président Lula s’est d’ailleurs entretenu avec Volodymyr Zelensky ce jeudi 2 mars, réaffirmant “la volonté du Brésil de dialoguer avec d'autres pays et de participer à toute initiative liée à la construction de la paix et du dialogue.”
La voie qui semble être, a priori, la moins compromettante pour la plupart des pays de la région pourrait donc être celle avancée par la Chine et le Brésil, visant à instaurer un forum de négociations qui forcerait, in fine, l’Ukraine à céder une partie de son territoire afin d’obtenir la paix. Un scénario qui isolerait alors les Européens et les Etats-Unis dans leur position et qui pourrait redessiner les alliances stratégiques à l’avenir.