Darién Gap : épicentre de la crise migratoire en Amérique
Le nombre de migrants franchissant la jungle entre le Panama et la Colombie au péril de leur vie est en constante augmentation depuis deux ans.
Au travers de cette jungle dense, qui coupe la route panaméricaine en deux, de plus en plus de migrants risquent leur vie au quotidien en cherchant à rejoindre les États-Unis.
Selon plusieurs rapports récents, le nombre de migrants tentant de traverser le Darién Gap a considérablement augmenté ces dernières années. Entre 2010 et 2020, 95 000 personnes ont fait la traversée. Ils étaient 134 000 en 2021 seulement et 250 000 en 2022. Depuis le début de l'année 2023, ce sont près de 100 000 migrants qui auraient fait la traversée. À ce rythme, les Nations Unies estiment que 400 000 migrants pourraient traverser le Darién Gap cette année. Ces chiffres ne sont malheureusement que des estimations car le voyage est périlleux et de nombreux migrants ne survivent pas à la traversée ou sont portés disparus en raison des conditions difficiles de la jungle.
Cette explosion du nombre de migrants traversant le Darién Gap est principalement due à la faillite économique et sociale de régimes autoritaires à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua et plus récemment en Haïti. En 2021, 60% des personnes traversant la jungle venaient du Vénézuela.
Dans ces pays, les situations de forte précarité économique, de famine ou d'insécurité poussent ceux qui ne peuvent pas prendre un bateau à tenter la traversée par la jungle, quitte à risquer leur vie. La crise sanitaire liée au Covid-19 n'a pas arrangé les choses, dans ces pays où les infrastructures de santé sont défaillantes et les gouvernements bien souvent incapables de fournir une réponse adéquate. La situation de détresse sanitaire a été un catalyseur de ces flux migratoires.
Pour ces migrants, rejoindre les Etats-Unis apparaît donc comme la seule solution pour envisager un meilleur avenir. Beaucoup d’entre eux ont déjà des proches sur place, qui ont leur ont parfois envoyé l’argent nécessaire pour payer la traversée.
La situation met la pression sur les États-Unis et l'administration Biden, à un an et demi des prochaines élections. La gestion de l'immigration est un sujet épineux pour le président démocrate, qui ne peut pas l'ignorer.
La politique migratoire des USA avait connu quelques adaptations durant la pandémie. L'administration Biden avait étendu l’application du “Title 42”, une mesure permettant de restreindre les demandes d'asile. Cette mesure avait été appliquée aux migrants vénézuéliens dans un premier temps avant d'être étendue aux migrants venant de Cuba et du Nicaragua. L’application de cette mesure a cependant été jugée illégale par un tribunal de Washington et doit prendre fin le 11 mai 2023, ce qui pousse Joe Biden à agir.
Ainsi les États-Unis, le Panama et la Colombie ont annoncé le 12 avril dernier le lancement d’un programme visant à réduire les flux migratoires au niveau du Darién Gap dans une période de 60 jours. Le plan comprend des mesures de sécurité accrues aux frontières, ainsi que des efforts pour s'attaquer aux causes profondes de la migration, telles que la pauvreté et la violence dans les pays d'origine des migrants. Cependant peu de détails ont été avancés par l'administration américaine jusque là.
Les mesures annoncées ont fait l'objet de critiques, certains se demandant si le renforcement de la sécurité aux frontières constitue la meilleure approche, alors que les migrants prennent déjà tous les risques pour faire la traversée. Cela pourrait au contraire pousser les migrants à emprunter des chemins encore plus dangereux.
Le passage est largement contrôlé par des membres de cartels colombiens qui ont fait des migrants leur nouvelle source de revenus, une activité moins risquée pour eux que le trafic de drogue. À leur arrivée au Panama, les migrants sont accueillis dans des centres du gouvernement panaméen, dans des conditions insalubres, les centres étant bien trop petits désormais. Des bus des services de migration du Panama permettent l’acheminent des migrants vers le Costa Rica. Mais les places sont chères et peu nombreuses.
La situation révèle le manque de contrôle des Etats colombien et panaméen sur ce territoire, qui reste aux mains des cartels et des passeurs. Les services nationaux de migration quant à eux, se contentent d’acheminer les migrants à la frontière la plus proche.
Le programme annoncé par les Etats-Unis, la Colombie et le Panama devra être plus ambitieux pour espérer avoir un impact concret sur cette crise humanitaire qui s’impose de plus en plus dans les agendas nationaux et régionaux. Les Etats-Unis ont d’ailleurs annoncé cette semaine l’ouverture de deux centres de demande d’asile en Colombie et au Guatemala afin d’anticiper la situation en amont et d’éviter aux migrants de faire la traversée via le Darién Gap. D’autres centres pourraient être ouverts en Amérique centrale dans les prochains mois. Le Secrétaire d’Etat à la sécurité intérieure Alejandro Mayorkas a également déclaré que ceux qui essayaient d’arriver aux Etats-Unis par les voies illégales s’exposaient à une interdiction du territoire américain pendant 5 ans et à des poursuites judiciaires.