Argentine : les défis de Javier Milei

Fort d'une large victoire ce dimanche, Javier Milei pourrait cependant avoir du mal à appliquer son programme radical.

Javier Milei le soir de sa victoire au second tour de l’élection présidentielle en Argentine. EPA-EFE/Juan Ignacio Roncoroni

Ce dimanche, Javier Milei a remporté l’élection présidentielle en Argentine avec une avance confortable sur son rival : 56% de voix contre 44% pour Sergio Massa. Un “séisme” politique qui révèle la détresse politique dans laquelle se trouve l’Argentine. Si Javier Milei a certainement conquis de nombreux électeurs (notamment les jeunes) par son discours ultra-libéral et ses promesses de dollariser l’économie, son positionnement anti-système aura réussi à rallier autour de lui la majorité des Argentins. Comme ailleurs dans la région depuis plusieurs années, le gouvernement sortant a été sanctionné à la faveur d’un outsider.

Il est certain que beaucoup d’Argentins ont voté contre Sergio Massa et le gouvernement actuel plutôt que pour Javier Milei, ce malgré ses positions extrémistes. Durant l’entre-deux tours, la gauche a mené une “campagne de la peur” contre Javier Milei, dépeignant à travers des spots télévisés “l’Argentine de Milei” où le trafic d’organes et le port d’arme seraient autorisés et caricaturant le candidat comme instable psychologiquement. Cette stratégie n’aura pas fonctionné et semble même avoir été sanctionnée par les électeurs.

Parfois comparé à Trump ou à Bolsonaro, le discours populiste de Javier Milei, anti-élitiste et promettant une révolution libérale pour l’économie a conquis la majorité des Argentins. Il avait réussi a réunir 33% des voix au premier tour. Un score déjà historique pour son mouvement même si beaucoup d’analystes se demandaient s’il pouvait faire mieux au second tour. En arrivant en tête dans 21 provinces sur 24 et avec une avance de presque 12 points au scrutin national, il devient le président le mieux élu depuis le retour à la démocratie en 1983.

L’Argentine plonge désormais dans l’inconnu et dans une période de transition qui pourrait s’avérer difficile. Il est en effet possible que des manifestations aient lieues dans les prochains semaines (notamment de la part des syndicats). La composition du gouvernement de Milei est particulièrement attendue. Les premiers noms évoqués semblent indiquer que le président élu souhaite s’entourer de personnalités d’expérience, ayant déjà exercé des fonctions publiques. Le ministère de l’économie pourrait revenir à Federico Sturzenegger, ancien président de la banque centrale sous Mauricio Macri.

La situation économique, déjà critique, pourrait être d’autant plus instable dans les prochains mois, jusqu’à ce que les premières réformes de Javier Milei soient détaillées. Même si la bourse argentine a réagi positivement à l’élection de Milei ce mardi, les indicateurs de l’économie argentine sont dans le rouge. Le pays connaît une inflation de 142,7% sur un anla valeur du peso argentin s’est effondré ces derniers mois et les réserves en dollars sont à un niveau historiquement bas ce qui paralyse certains secteurs d’activités. La dette publique a augmenté de 30% depuis début 2020 et le pays connaît aujourd’hui un taux de pauvreté de 40% contre 35% en 2019. Une situation critique qui explique la sanction dans les urnes de l’équipe dirigeante.

Le président élu a annoncé depuis des mois vouloir dollariser l’économie, supprimer la banque centrale et “découper à la tronçonneuse” les dépenses publiques. Il souhaite notamment privatiser de nombreuses entreprises publiques et réduire drastiquement le nombre de ministères en se focalisant en priorité sur l’économie et la lutte contre l’insécurité.

Ce programme qui constituerait un virage à 180 degrés pour l’Argentine a été très critiqué, y compris par de nombreux économistes étrangers, qui le jugent impossible à mettre en œuvre. L’Etat argentin devrait en effet trouver 40 milliards de dollars pour pouvoir adopter le dollar en tant que monnaie nationale, soit a peu près la somme que l’Argentine doit aujourd’hui rembourser au FMI. S’il souhaite supprimer la banque centrale, Javier Milei devra faire passer une réforme constitutionnelle et s’il veut privatiser YPF, l’entreprise pétrolière nationale, il devra avoir une majorité au Congrès. Des pré-requis qui semblent pour l’instant loins d’être acquis.

En effet, Javier Milei ne dispose pas d’une base politique solide sur le plan législatif. Si sa popularité individuelle a été réaffirmée par les résultats du second tour, son parti La Libertad Avanza reste quasi-inexistant à l’échelon local et ultra-minoritaire au Congrès, avec seulement 38 députés (sur 257 sièges) et 7 sénateurs (sur 72). Le président élu n’aura pas d’autre choix que de former une coalition avec le parti centriste Juntos por el Cambio s’il souhaite faire passer ses réformes. Une union qui pourrait pousser le président à nuancer ses positions sur de nombreux sujets. Cette future composition du Congrès, déjà connue après le premier tour du 22 octobre, a pu convaincre certains Argentins de voter pour Javier Milei, voyant qu’il serait obligé de composer avec une force politique plus modérée pour appliquer son programme.

Javier Milei compte également opérer un changement radical dans la politique étrangère de l’Argentine. Sous le gouvernement actuel, l’Etat sud-américain s’est fortement rapproché de la Chine et plus récemment des BRICS, avec l’appui du Brésil. Le président estime pour sa part que la place de l’Argentine est aux côtés des pays défendant “les idées de la liberté”. Il s’est d’ores et déjà opposé à l’intégration du pays dans les BRICS et a annoncé que ses premiers déplacements internationaux seraient aux Etats-Unis, en Israël et en Uruguay. Dans la région, les forces de gauche perdent donc un allié important. Toutefois, il est difficile d’imaginer que l’économie argentine puisse se relever sans que les relations commerciales avec la Chine et le Brésil ne soient maintenues.