Venezuela - Guyana : l'Essequibo au cœur des tensions
Le Venezuela souhaite remettre la main sur une région riche en ressources pétrolières
Depuis plusieurs mois, la tension monte entre le Venezuela et son voisin le Guyana. En cause, l’organisation par le Venezuela d’un référendum ce dimanche 3 décembre qui pourrait mener à une annexion de la région d’Essequibo. C’est en tout cas ce que dénonce le gouvernement du Guyana, qui a officiellement demandé l’intervention de la Cour internationale de Justice (CIJ).
Depuis un arbitrage datant de 1899, la région d’Essequibo est administrée et contrôlée par le Guyana. Cet arbitrage a été dénoncé par le Venezuela durant de nombreuses années, menant à un accord en 1966 qui prévoyait un nouveau cadre de négociations pour le règlement du contentieux entre le Guyana et le Venezuela. Ces négociations n’ont jamais abouties et le litige a été confié en 2018 à la CIJ, dont le Venezuela ne reconnaît pas l’autorité.
La région d’Essequibo représente aujourd’hui deux-tiers du territoire de Guyana et héberge 125.000 personnes sur les 800.000 habitants du pays. Le Venezuela revendique depuis longtemps la souveraineté de ce territoire, en se basant sur les frontières de 1777 où le territoire vénézuélien s’étendait jusqu’au fleuve Essequibo.
Territoire contesté entre le Venezuela et la Guyane © Gustavo IZUS / AFP
Le contentieux territorial entre les deux pays est revenu sur le devant de la scène ces derniers mois et notamment depuis la découverte d’importants gisements de pétrole au large de la région d’Essequibo, dans une zone maritime revendiquée par le Venezuela.
Depuis 2015 et le début d’opérations d’exploitation pétrolière offshore par l’entreprise américaine Exxon, le Guyana a vu son destin basculer. Le pays, dont la superficie correspond à plus d’un tiers de la France, connaît depuis quelques années un “boom pétrolier”. En octobre, une nouvelle découverte pétrolière significative laissait penser que le pays pourrait détenir à terme des réserves en pétrole supérieures à celles du Koweït et des Emirats Arabes Unis. Le Guyana pourrait même devenir le quatrième plus important producteur de pétrole off-shore au monde, devançant les Etats-Unis, le Mexique, le Qatar ou la Norvège.
En quelques années, les revenus du pétrole ont commencé à transformer le pays. Le gouvernement a réalisé d’importants investissements dans les infrastructures (construction d’un port en eaux profondes, d’hôpitaux, d’autoroutes et d’écoles), la diversification des cultures agricoles, un projet de centrale thermique et la création de nombreux emplois. La croissance économique du pays a atteint 62% en 2022 et devrait atteindre 38% en 2023. Le gouvernement s’attend à ce que la croissance annuelle dépasse les 20% jusqu’en 2030.
La “fortune” du Guyana ces dernières années a ainsi ravivé les revendications du Venezuela. Le gouvernement de Nicolas Maduro a annoncé en septembre dernier vouloir organiser un référendum afin de renforcer la souveraineté du Venezuela sur ce territoire. Lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, le ministre des affaires étrangères Yvan Gil affirmait que ce référendum devait permettre au pays de “défendre sa souveraineté territoriale contre les agressions de l’empire américain, qui souhaite nous conduire vers une guerre pour les ressources naturelles”. Caracas estime en effet que les activités des entreprises pétrolières américaines au large de l’Essequibo constituent une menace pour sa souveraineté.
Le référendum du 3 décembre posera donc les cinq questions suivantes aux électeurs vénézuéliens :
1. Êtes-vous d’accord qu’il faut catégoriquement rejeter la ligne dessinée par la Decision arbitrale de Paris 1899 qui veut nous priver de notre Guayana Esequiba ?
2. Soutenez-vous la validité de l’accord de Geneve de 1966, unique instrument juridique valable pour trouver une solution satisfaisante pour résoudre la controverse autour du territoire du Guayana Esequiba ?
3. Êtes-vous d'accord avec la position historique du Venezuela à ne pas reconnaître la juridiction de la Cour internationale de justice dans la résolution de la controverse territoriale autour du Guayana Esequiba ?
4. Êtes-vous d’accord d’opposer, par toutes les voies juridiques, les revendications du Guyana à disposer unilatéralement, en toute illégalité et en violation de la loi internationale, de la zone maritime encore en arbitrage ?
5. Êtes-vous en faveur de la création d’un état de Guayana Esequiba et l’élaboration d’un plan accéléré pour assurer le soin de l’actuelle et de la future population de ce territoire, de leur accorder la citoyenneté et d’émettre les cartes d’identité ? Selon l’accord de Genève et la loi internationale, le Venezuela incorpora cet état sur la carte vénézuélienne.
L’issue du référendum ne devrait créer aucune surprise dans un pays où la grande majorité des opposants à Nicolas Maduro a fui le pays, à mesure d’une crise économique et humanitaire qui dure depuis dix ans. Le 19 novembre une “répétition générale” du référendum était organisée. Un exercice qui a permis de mobiliser les partisans de Maduro qui ont appelé à voter “cinq fois oui” ce dimanche.
Il est difficile de savoir quelles seront les suites données à ce référendum, étant donné les négociations actuelles entre Caracas, Washington et l’opposition vénézuélienne autour de l’organisation d’élections en 2024 et la levée des sanctions économiques. Le référendum pourrait simplement permettre à Nicolas Maduro de montrer qu’il conserve une autorité, un soutien populaire et qu’il incarne la défense de la souveraineté nationale, ce malgré les négociations avec l’opposition. Néanmoins, le référendum est explicite dans la volonté du gouvernement de mettre la main sur la région d’Essequibo et pourrait donner un feu vert à l’armée vénézuélienne pour s’y installer.
Maria Corina Machado, nouvelle figure de l’opposition au Venezuela, a appelé le régime de Nicolas Maduro à suspendre ce référendum et à respecter la souveraineté territoriale de Guyana. Selon elle, ce référendum est une “distraction”, qui pourrait finir par porter préjudice au Venezuela sur la scène internationale. Cette semaine, plusieurs représentants du ministère de la défense américain sont attendus à Georgetown, la capitale de Guyana, pour évaluer la situation à la demande du président Irfaan Ali, qui s’inquiète d’une possible annexion de l’Essequibo par Caracas.