Argentine : l’échec de la politique économique de Mauricio Macri fait resurgir le clan Kirchner
Les résultats des élections primaires du 11 Août ont provoqué une onde de choc en Argentine. Ces élections, qui visaient à déterminer quels partis pourraient se présenter aux élections présidentielles du 27 octobre, ont vu le candidat Alberto Fernandez prendre une avance significative sur le Président sortant Mauricio Macri. Alors que les sondages prévoyaient un résultat serré entre les deux candidats, l’avance significative de Alberto Fernandez à l’issu du scrutin (15.6 points de pourcentage) a déjoué tous les pronostics.
Le verdict de ces élections, souvent observées comme le baromètre du scrutin présidentiel ayant lieu deux mois plus tard, a engendré une panique générale sur les marchés. De nombreux investisseurs ont immédiatement abandonné leurs actifs en Argentine, précipitant une chute de l’indice boursier et une hausse de l’inflation. En l’espace de trois semaines, la Bourse de Buenos Aires a plongé de 30%, la monnaie nationale s’est dépréciée de 20% et la Banque centrale a perdu 12 millions de pesos dans ses réserves. Le 28 août dernier, afin de stopper l’hémorragie, le gouvernement de Mauricio Macri a restauré un contrôle des changes et a négocié un différé du remboursement de certains emprunts à court-termes.
Si la déception est si grande, c’est parce que Mauricio Macri représentait un virage « néo-libéral » en Argentine et nourrissait de nombreux espoirs au sein des milieux d’affaires. Mais sa défaite lors de ces primaires marque un rejet franc des Argentins envers sa politique économique.
A son arrivée au pouvoir fin 2015, Mauricio Macri souhaitait provoquer un choc économique pour relancer l’Argentine. En réhabilitant l’Institut national de statistiques (INDEC) et en négociant un accord avec les fonds privés créditeurs de la dette argentine, le président argentin initiait un retour du pays sur les marchés internationaux. La levée du contrôle des changes et des capitaux devait aussi favoriser l’investissement étranger et domestique dans l’économie argentine. Or, ces différentes mesures ont également contribué à exposer de façon démesurée le pays aux aléas de la conjoncture financière internationale. Et alors que l’Argentine s’ouvrait à nouveau vers le monde, ses principaux partenaires économiques semblaient s’en éloigner. De fait, après deux premières années de mandat plutôt positives sur le plan économique, l’horizon s’est vite obscurci : la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis a déclenché une fuite des capitaux vers le pays nord-américain et les investissements espérés par le gouvernement de Mauricio Macri ne se sont pas concrétisés. Par conséquent, le peso argentin s’est fortement déprécié par rapport au dollar (+50% entre janvier et septembre 2018). L’endettement public, de moins en moins tenable (86,2% du PIB en 2018), a finalement poussé le président argentin à faire appel au FMI, qui a accordé au pays un prêt de 57 milliards de dollars en septembre 2018.
La stratégie de Mauricio Macri qui consistait à redonner confiance dans l’économie argentine en favorisant les milieux d’affaires, n’aura pas eu les effets escomptés. Et encore moins pour les classes populaires. Face à un taux de pauvreté élevé (32% début 2019) et un taux de chômage à 10.6% en juillet 2019, le gouvernement de Macri a fait trop peu pour espérer obtenir le vote des classes les moins aisées. Les résultats inattendus des élections primaires du 11 août dernier ont donc parachevé un scénario catastrophe pour Mauricio Macri.
La surréaction des investisseurs est aussi due à la perspective de voir l’adversaire direct de Mauricio Macri, Alberto Fernandez, être intronisé président le 1er décembre prochain. En effet, le ticket Fernandez-Kirchner est désormais ultra-favori pour gagner les élections du 27 octobre.
Ancien directeur de campagne puis directeur de cabinet du président Nestor Kirchner entre 2003 et 2007, Alberto Fernandez est une des figures historiques du kirchnersime. C’est d’ailleurs avec Cristina Kirchner (présidente de 2007 à 2015) qui candidate pour la vice-présidence, qu’il se présente à ces élections présidentielles sous la bannière de l’alliance “Frente de Todos”. Fernandez, qui apparaît comme moins radical que l’ancienne présidente, a su rassembler autour de lui les différentes factions de la gauche. Alberto Fernandez a mené sa campagne en dénonçant l’échec de la politique économique de Mauricio Macri et en promettant plus d’efforts pour lutter contre la pauvreté. Fernandez a notamment critiqué avec ardeur l’accord passé par Macri avec le FMI, allant même jusqu’à insinuer que le FMI finançait la campagne de réélection du président, et promettant de renégocier les termes de l’accord s’il venait a être élu. Aujourd’hui, Alberto Fernandez et son équipe sont en position de force et entretiennent le flou sur le futur de la dette argentine. Ils cherchent en effet à obtenir plus de marge de manoeuvre de la part du FMI et donc un rééchelonnement du remboursement de la dette. Mais les responsables du FMI attendent également d’en savoir plus sur le programme économique du candidat.
En effet, Alberto Fernandez n’a pour l’instant pas dévoilé tous les contours de la politique économique qu’il souhaite mettre en place. Dans ses différents discours, il a appelé à redynamiser l’économie “par le bas” et à relancer l’appareil productif du pays, s’inscrivant ainsi en opposition à la politique de Macri. Néanmoins, peu de mesures concrètes ont été annoncées et la crise dans laquelle s’est enfoncé le pays depuis la mi-août a quelque peu paralysé les débats. Alberto Fernandez a tout de même affirmé qu’il compter baisser les taux d’intérêt appliqués par la Banque centrale ainsi que les taxes à l’exportation, s’inspirant des politiques économiques mises en place à partir de 2003. Après le défaut de paiement de 2002, l’économie argentine s’était vite relevée, profitant du boom des prix des matières premières. Le pays affichait un taux de croissance annuelle moyen de 5,8% sur la période 2003-2012.
Toutefois, il semble compliqué de voir l’Argentine connaître un rebond aussi salvateur dans les prochaines années. La conjoncture économique internationale n’est plus la même et pour certains, la période 2003-2012 n’était en réalité qu’une parenthèse enchantée pour l’Argentine comme pour beaucoup d’autres économies latino-américaines. Alberto Fernandez aura peut-être intérêt à solliciter les principaux partenaires commerciaux de l’Argentine, en premier lieu le Brésil. Mais là aussi, la tâche s’annonce compliquée. En effet, Fernandez s’est clairement positionné comme un allié de Lula (à qui il a rendu visite en prison). Quant au président brésilien Jair Bolsonaro, il n’a pas caché son hostilité à l’égard du "ticket" Fernandez-Kirchner. Les relations diplomatiques entre les deux pays pourraient donc connaître une période de tensions et mettre entre parenthèses l’accord commercial négocié entre le Mercosur et l’Union européenne.
À moins d’une nouvelle embellie des matières premières qui pourrait profiter à l’Argentine, il semble n’y avoir aucune solution facile à disposition du prochain gouvernement, quel qu'il soit, pour relancer l’économie argentine.
Mi-octobre, le FMI a revu à la baisse la plupart de ses indicateurs économiques concernant l’Argentine. En 2019, le PIB devrait chuter de 3,1% (et -1,3% en 2020). L’inflation pourrait s’élever à 57,3% (et 39,2% en 2020). Dans ce contexte, il est difficile de voir l’horizon s’éclaircir pour l’Argentine d’ici fin 2020. Une fois n’est pas coutume, les Argentins s’attendent à nouveau à vivre de longs mois difficiles.
Lors d’un ultime débat entre les candidats à la présidentielle ce dimanche 20 octobre, Alberto Fernandez a dénoncé le bilan économique catastrophique de Mauricio Macri, tout en se présentant comme un candidat modéré, ce dans l’espoir de convaincre les électeurs encore indécis. Les échanges ont été vifs entre les deux candidats et Mauricio Macri a rappelé les soupçons de corruption qui pèse sur Fernandez alors qu'il était chef de cabinet de Nestor Kirchner. Depuis plusieurs semaines, Alberto Fernandez et son équipe s'efforcent de mettre en avant la responsabilité du président sortant dans la crise économique actuelle. Mais selon certains observateurs, cet acharnement commence à être perçu négativement par une partie des électeurs. Cela risque cependant de ne pas suffire à Mauricio Macri pour battre son rival et prétendre à un second mandat.
Les élections du 27 octobre devraient voir Alberto Fernandez arriver largement en tête du scrutin. Il pourrait même être élu au premier tour s'il atteint 45% des votes exprimés ou 40% avec une avance de 10 points sur le second. Dans le cas contraire, un second tour aurait alors lieu le 24 novembre prochain.