Au Panama, la Chine trace sa route
La Chine et le Panama ont scellé, début décembre 2018, une série d’accords de coopération et d’investissements, à l’occasion de la visite du président Xi Jinping au Panama. Les deux pays ont ainsi fait un pas de plus vers un rapprochement diplomatique amorcé il y a un an et demi. Xi Jinping, et son homologue Jan Carlos Varela, président du Panama, ont ratifié pas moins de dix-neuf accords de coopération bilatérale, portant sur de nombreux secteurs comme le commerce, les infrastructures, le tourisme, entre autres.
En juillet 2017, le Panama a rompu ses relations diplomatiques avec Taïwan, reconnaissant donc l’existence d’une Chine « unique » et ouvrant la voie à une coopération plus poussée avec le géant asiatique. Depuis, le rapprochement entre les deux pays a été rapide. Les dirigeants ont multiplié les rencontres diplomatiques et les accords bilatéraux : avant la rencontre entre les deux présidents début décembre, les deux pays avaient déjà signé vingt-huit accords d’investissements et de coopération depuis juillet 2017. Un traité de libre-échange est actuellement en cours de négociation. Celui-ci pourrait être conclu avant le 1er juillet 2019, date à laquelle le mandat du président Jan Carlos Varela prendra fin.
L’intérêt si prononcé de la Chine pour le Panama s’inscrit dans la stratégie commerciale globale du géant asiatique. Dans son discours du 31 décembre 2018, Xi Jinping a ouvert la voie à une « nouvelle ère de la diplomatie chinoise ». L’objectif premier du gouvernement chinois est de devenir la première puissance mondiale à l’horizon 2049, soit cent ans après l’avènement de la République populaire de Chine par Mao Zedong. Le pays vise à consolider son rôle de première puissance régionale en Asie tout en accroissant son influence au niveau mondial. Cela s’illustre principalement sur le plan commercial : le projet des « nouvelles routes de la soie » amorcé par le président Xi Jinping en 2013 vise à ouvrir des voies terrestres, maritimes et océaniques pour connecter la Chine au reste du monde. Ces « couloirs » doivent permettre à la Chine d’être omniprésente auprès de ses partenaires économiques (et en premier lieu l’Union européenne) et ainsi affirmer sa position de première puissance commerciale dans les prochaines années.
Dans ce contexte, le Panama, véritable hub logistique, est un élément clé du projet chinois. Son canal relie l’océan atlantique à l’océan pacifique et voit passer chaque année 5 à 6% du commerce international. Aujourd’hui, deux tiers des bateaux en provenance ou à destination des Etats-Unis passent par le Canal de Panama. En 2018, selon les chiffres de l’Autorité du Canal de Panama, les Etats-Unis étaient les premiers usagers du Canal, avec 177 milliards de tonnes de marchandises importées ou exportées par les Etats-Unis via le Canal de Panama. A la deuxième place, la Chine totalisait 42 milliards de tonnes. En concluant des accords de coopération et d’investissements avec le Panama, la Chine souhaite se placer en tant que partenaire privilégié du pays d’Amérique centrale. Une position qui lui permettrait d’accéder plus facilement aux marchés de toute la région latino-américaine.
Signe de sa volonté de renforcer sa présence au Panama, la diplomatie chinoise avait prévu d’installer une ambassade près du Canal. Ce projet a néanmoins été suspendu suite à des pressions de Washington, mais aussi de la population locale, auprès du gouvernement de Jan Carlos Varela. De fait, l’augmentation des investissements chinois au Panama est une source d’inquiétudes pour la diplomatie américaine. Washington semble en effet résigné à voir son influence diminuer auprès de ce pays d’Amérique centrale considéré comme un allié historique, sur le plan politique, commercial mais aussi militaire.
Outre le Panama, la Chine poursuit sa percée dans toute la région latino-américaine. Lors d’une conférence de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) en janvier 2018, la diplomatie chinoise avait formellement invité les Etats latino-américains à s’unir au projet des « nouvelles routes de la soie ». Depuis, plusieurs pays se sont dits prêts à y adhérer, comme l’Uruguay, le Salvador ou encore Trinité et Tobago. En contrepartie, la Chine fait jouer sa puissance d’investissement, notamment dans les infrastructures, un secteur clé pour le développement des économies latino-américaines. En 2017, la Chine était le premier partenaire commercial de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay ainsi que le deuxième partenaire du Pérou, du Costa Rica et du Mexique. Les montants investis par la Chine en Amérique latine dépassent aujourd’hui de loin ceux de la Banque inter-américaine de développement (BID) et ceux de la Banque Mondiale.
Le développement exponentiel des relations entre les pays d’Amérique latine et la Chine contraste fortement avec l’affaiblissement de la présence américaine dans cette région. Le retrait des Etats-Unis du Traité Trans-Pacifique, les renégociations de l’ALENA, l’absence de Donald Trump lors du Sommet des Amériques de Lima en avril 2018 ont été les signes d’un désintérêt pour l’Amérique latine de la part de Washington. La Chine en a profité pour solidifier sa position dans la région. Or, le modèle de coopération mis en oeuvre par la Chine n’est pas sans risques pour les pays d’Amérique latine. Si la diplomatie chinoise se limite à promouvoir le développement des relations économiques, les investissements chinois alimentent en réalité le modèle extractif sur lequel repose une grande majorité des économies latino-américaines. Dans ce contexte, les pays de la région vont certainement continuer à favoriser des modèles économiques soutenus par la production et l’exportation de matières premières, sources d’instabilité financière et facteurs d’exposition aux chocs externes.