Mexique : tensions autour de la réforme judiciaire

De nombreuses manifestations ont eu lieu ces derniers jours au Mexique contre un projet de réforme du système judiciaire souhaité par le président sortant Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO).

Des juges, magistrats et fonctionnaires de justice manifestent à Mexico contre le projet de réforme du système judiciaire. (Luis Cortes/Reuters)


La réforme prévoit de modifier les conditions dans lesquelles plus de 7.000 juges fédéraux sont choisis, y compris ceux de la Cour Suprême. À l’heure actuelle, les juges sont nommés par l’administration de chaque État du Mexique. Les changements proposés par AMLO prévoient que les juges fédéraux soient d’abord choisis par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif puis soumis au vote des citoyens. La réforme doit passer par une révision constitutionnelle et pourrait se concrétiser dès 2025 avec une première série d’élections et une deuxième prévue en 2027.

Des juges, magistrats et fonctionnaires de justice manifestent à Mexico contre le projet de réforme du système judiciaire. (Luis Cortes/Reuters)

Depuis deux semaines, les manifestations se multiplient contre ce texte qui pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, certains y voient une régression de la démocratie au Mexique. Les branches exécutive et législative de l’État auraient en effet la prérogative de sélectionner et confirmer les candidats aux postes de juges. Or, le parti d’AMLO, Morena est déjà sorti renforcé des dernières élections générales. La large victoire de Claudia Sheinbaum en juin dernier a assuré une continuité au pouvoir exécutif pour les six prochaines années ; et grâce à ses coalitions, le parti Morena dispose quasiment d’une super-majorité dans les deux chambres. La réforme pourrait donc étendre l’influence du parti présidentiel sur le pouvoir judiciaire et faire du Mexique un État avec un parti unique et des contre-pouvoirs inexistants.

De plus, la réforme proposée par AMLO, en soumettant la nomination des juges à des élections, pourrait politiser le pouvoir judiciaire et remettre en question l’indépendance des juges. L’élection des juges les exposerait également à des menaces ou des tentatives de corruption de la part du crime organisé, dans un pays où 37 candidats à des élections locales ont été assassinés par les cartels durant la dernière campagne électorale.

Enfin, un système d’élection des juges pourrait également entrer en conflit avec les dispositions du traité USCMA (ex-ALENA) qui prévoient de traiter de façon impartiale les différends commerciaux impliquant des investisseurs étrangers. Les diplomaties canadiennes et américaines ont fait part de leurs inquiétudes à propos de cette réforme et de son impact sur leurs relations commerciales avec le Mexique. Néanmoins, ces alertes ont été accueillies par une fin de non recevoir à Mexico. Le Président AMLO allant même jusqu’à déclarer que les relations de son pays avec les ambassades américaine et canadienne étaient “en pause”.

AMLO et Claudia Sheinbaum ont jusque-là traité les critiques de cette réforme avec une certaine indifférence. Ils avancent que ce système d’élection des juges existe déjà dans de nombreux États américains et que le projet vise à démocratiser le système judiciaire en donnant un meilleur accès à la justice aux Mexicains, tout en luttant contre la corruption.

Ce mardi, une première étape a été franchie puisque la Chambre des Députés a approuvé dans les grandes lignes le projet de réforme proposé par AMLO. Celle-ci sera discutée dans les deux chambres du Congrès à partir de la semaine prochaine. AMLO ou sa successeur Claudia Sheinbaum (qui prendra ses fonctions le 1er octobre), devront réunir une majorité qualifiée au Congrès pour passer la révision constitutionnelle nécessaire à cette réforme. Un obstacle qui ne devrait pas poser de problème puisque le parti présidentiel n’a besoin que de 3 voix supplémentaires au Sénat pour avoir cette majorité qualifiée.

Si la plupart des observateurs s’accorde à dire qu’une réforme du système judiciaire est nécessaire au Mexique, celle proposée par AMLO ne semble pas s’attaquer aux principaux problèmes actuels comme la mauvaise allocation des ressources, l’impunité, la difficulté des victimes à accéder aux tribunaux et le respect du droit des accusés à se défendre.