En Amérique latine, la Chine mise désormais sur l'innovation

Un virage stratégique dans la nature des investissements chinois dans la région.

Le président du Brésil Lula et le ministre des affaires etrangères chinois Wang Yi lors d’une rencontre à Fortaleza le 19 janvier 2024.

Si la diplomatie chinoise débute généralement l’année par plusieurs visites en Afrique, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a cette année démarré sa tournée la semaine dernière au Brésil. Une visite hautement symbolique, puisque les deux pays fêtent en 2024 cinquante ans de relations diplomatiques ; et qui souligne l’importance de l’Amérique latine pour la Chine.

Depuis deux décennies, la Chine est en effet devenue un partenaire stratégique incontournable dans la région. Le géant asiatique est le premier partenaire commercial des pays de la zone Amérique du sud (devant les Etats-Unis) et l’une des principales sources d’investissements étrangers et de prêts, en particulier dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Le commerce entre la Chine et l'Amérique latine est passé de 14 milliards de dollars en 2000 à 495 milliards de dollars en 2022.

Le Brésil est de loin le pays qui a capté la majeure partie des IDEs chinois dans la région au cours des deux dernières décennies, avec 78,6 milliards de dollars, soit 42 % du total. La plus grande économie d’Amérique latine est devenue le partenaire privilégié de Pékin, d’abord sur le plan commercial mais aussi (et de plus en plus) sur le plan diplomatique. Le Pérou est le deuxième bénéficiaire de ces investissements chinois, suivi du Mexique, de l'Argentine et du Chili.

Signe de la présence grandissante de la Chine dans la région, 21 pays latino-américains font désormais partie du projet des Nouvelles Routes de la Soie. Grâce à sa capacité de financement et d’investissement, Pékin à pu concurrencer la présence américaine sur certains points de passages clés comme au Canal de Panama. Plus récemment, Pékin a investi dans la coopération spatiale et militaire avec certains pays et notamment l’Argentine, le Venezuela et la Bolivie. La Chine a également été le principal fournisseur de vaccins contre la Covid-19 dans la région.

Cette injection continue d’argent par Pékin dans la région a favorisé la dépendance commerciale des Etats latino-américains et leur endettement vis-à-vis de la Chine. A tel point qu’une baisse de la croissance chinoise à venir pourrait avoir d’importantes conséquences structurelles sur les économies de la région.

Or, depuis 2020 les montants des investissements chinois en Amérique latine sont en baisse, passant de 14,2 milliards de dollars par en moyenne entre 2010 et 2019 à 6,4 milliards en 2022. Mais une étude publiée cette semaine par the Inter-American Dialogue révèle que la Chine procède en réalité à un re-calibrage de ses investissements en Amérique latine ces dernières années, vers des secteurs stratégiques à haut niveau technologique désignés comme les “nouvelles infrastructures” par Pékin : les telecoms, la fintech, les énergies renouvelables, entre autres. Des secteurs innovants que la Chine souhaite mettre à contribution pour sa stratégie globale.

Dans ces secteurs, les investissements chinois sont en hausse ces dernières années et représentaient en 2022 60% des investissements totaux chinois en Amérique latine. Au contraire, les investissements massifs et plus couteux dans les infrastructures “traditionnelles” sont de moins en moins une priorité pour Pékin, même si certains projets d’envergure sont encore à l’ordre du jour.

Ainsi, de nombreuses entreprises chinoises se sont placées dans la région ces dernières années sur ces secteurs d’avenir. C’est le cas du constructeur BYD qui fabrique des véhicules électriques au Brésil, de Tianqi Lithium au Chili ou CBC en Bolivie qui visent à exploiter les ressources en lithium, ou encore de Huawei qui est devenu un acteur incontournable des télécoms dans la région (couverture 5G, centres de données).

Ce “pivot” des investissements chinois en Amérique latine constitue pour Pékin un moyen de concurrencer les Etats-Unis et l’Europe sur des secteurs de plus en plus stratégiques. En réalité, Pékin prend surtout une place délaissée par les diplomaties occidentales. En effet, ni les Etats-Unis ni l’Europe ne semblent en mesure d’offrir une alternative concrète. Washington est désintéressé et Bruxelles est souvent trop exigeant, soit tout le contraire de Pékin.

Si les administrations américaines successives ont souvent averti les gouvernements latino-américains des dangers d’une dépendance excessive aux investissements chinois, elles n’ont pas proposé de solution concrète et les discours n’ont souvent pas été suivis d’actes significatifs. De son côté, l’Union européenne appose souvent des conditions restrictives au développement des relations commerciales sans pour autant avoir une puissance d’investissement suffisamment convaincante.

L'Union européenne a lancé l'année dernière son initiative Global Gateway en Amérique latine, qui prévoit des investissements pouvant aller jusqu’à 45 milliards d'euros dans la transition énergétique et les nouvelles technologies soit les mêmes secteurs que ceux aujourd’hui visés par la Chine. Mais pour l’instant, seuls 3,4 milliards d’euros d’investissements sont assurés. Un effort certainement trop tardif et timide pour rivaliser avec Pékin.