Chili : cinquante ans après, le coup d'État divise

Cinquante ans après le coup d’Etat de Pinochet au Chili, les commémorations font l’objet de divisions qui symbolisent la fracture du pays.

Le président chilien Gabriel Boric au palais présidentiel de La Moneda lors du 50e anniversaire du coup d'État de 1973 | Photo : AP

Il y a cinquante ans aujourd’hui, le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende était renversé par le général Augusto Pinochet, provoquant le suicide du président Allende et plongeant le pays dans la dictature militaire jusqu’en 1990. En dix-sept ans, le régime de Pinochet a commis de nombreuses atteintes aux droits de l’homme avec un bilan dramatique : environ 3.200 morts et disparus et 38.000 personnes torturées. La dictature a également mené une politique économique néo-libérale agressive, conduisant à de nombreuses privatisations d’entreprises, la libéralisation du système des retraites, l’affaiblissement du secteur public, une forte hausse du chômage et des inégalités.

La date du 11 septembre 1973 a donc profondément marqué la société chilienne. Mais à l’heure de commémorer les cinquante ans de cet évènement, les Chiliens semblent plus que jamais divisés sur cette partie de leur histoire.

Chaque année la commémoration de cet évènement ravive ainsi des divisions profondes au sein de la société chilienne. Aujourd’hui, alors que le président Boric a fait de la justice l’un des piliers de son mandat, son approche de l’évènement est critiquée. L’organisation de la commémoration de ces cinquante ans avait été confiée à l’écrivain et proche de Gabriel Boric, Patricio Fernandez. Celui-ci a dû démissionner le 5 juillet dernier sous la pression du parti communiste et de plusieurs ONGs. En effet, ses déclarations dans une interview radio ont semé le doute quant à son point de vue sur les raisons du coup d’Etat de 1973. Un discours proche du “négationnisme” selon le parti communiste, qui avait peu apprécié cette sortie. La situation a déclenché une mini crise à la tête de l’Etat et a ravivé certains débats dans la société chilienne.

En mai dernier, un sondage a révélé que 36% des Chiliens estimaient que le coup d’Etat avait “libéré le pays du marxisme” et seulement 42% estimaient que le coup d’Etat avait porté atteinte à la démocratie, le chiffre le plus bas depuis 1995.

Pour une partie des Chiliens, le coup d’Etat de 1973 est perçu comme un “mal nécessaire” qui a permis de mettre fin à une crise politique et économique. Et malgré les exactions du régime de Pinochet, la politique néo-libérale de la dictature aurait permis au Chili de connaître un boom économique dans les années 19901.

Un discours qui paraît de plus en plus décomplexé au Chili et qui coincide avec la montée de la droite conservatrice dans le pays. Ces derniers jours, la droite majoritaire au Parlement, a refusé de signer un texte proposé par Gabriel Boric condamnant les violations des droits de l’homme de la dictature de Pinochet et a annoncé qu’elle ne participerait pas aux commémorations. Un échec politique pour Gabriel Boric qui visait à rassembler les différents bords politiques en amont de cette cérémonie.

La polarisation politique s’est exacerbée ces dernières années au Chili, illustrée par la percée du conservateur José Antonio Kast, arrivé second aux élections présidentielles de 2021 avec 44% des votes. La coalition de droite est restée majoritaire au Parlement et le parti républicain de Kast a également remporté en mai dernier la majorité des sièges du Conseil constitutionnel qui doit piloter le projet de nouvelle Constitution. Un résultat inattendu qui révélait que la droite bénéficiait encore d’un soutien important au Chili.

Dans ce contexte, Gabriel Boric a essayé de se rapprocher du centre de son électorat, notamment en procédant à un remaniement après l’échec du referendum sur la nouvelle Constitution en septembre 2022. Il est pour cela de plus en plus critiqué par une partie de sa coalition qui lui reproche de ne pas être assez à gauche. Pris entre deux feux, le jeune président est aujourd’hui dans une position compliquée, sans majorité suffisante au Parlement et critiqué à sa gauche.

Dimanche 10 septembre, à la veille des commémorations officielles, plusieurs manifestations et défilés avaient lieu à Santiago, alors que le président chilien recevait son homologue mexicain Andrès Manuel Lopez Obrador. Les représentants de syndicats de travailleurs ont dénoncé l’usage de la force pour contrôler ces manifestations et le fait que le président Boric se soit réuni avec l’ex-président Piñera quelques jours auparavant. Gabriel Boric a rejoint pendant un moment un cortège dans Santiago alors que quelques affrontements ont éclaté entre la police et des manifestants qui ont dégradé plusieurs lieux institutionnels.

Le président chilien a rendu hommage à Salvador Allende affirmant qu’il avait été "un démocrate irréprochable, un combattant social et une référence pour ceux d'entre nous qui croient en un Chili meilleur” et ajoutant que Allende avait donné sa vie pour la démocratie et l’Etat de droit.