Argentine : un nouveau cycle de crise économique en perspective ?
Ces derniers mois, les conditions économiques et financières de l’Argentine se sont dégradées, laissant planer le risque du retour d’une crise économique alors que le pays semblait prêt à remonter la pente. La démission du ministre de l’économie Martin Guzman en juin dernier a illustré les difficultés du pays à faire face à une forte inflation et témoigne des divisions qui règnent au sein du gouvernement.
A la sortie de la crise du Covid-19, l’Argentine, qui avait imposé des mesures de restrictions sanitaires particulièrement fermes, semblait bien placée pour amorcer une relance économique forte. Avec une croissance à 10,3% en 2021, le pays a connu un rebond de l’investissement, de la consommation privée et de ses exportations.
Après des négociations repoussées plusieurs fois, le gouvernement argentin a également réussi en mars 2022 à obtenir un accord sur le remboursement de sa dette auprès du FMI, d’un montant de 44 milliards de dollars. Un signe positif alors, d’autant plus que cet accord semblait assez favorable pour le gouvernement d’Alberto Fernandez. En effet, l’accord n’impose pas directement de mesures d’austérité à l’Argentine, mais plutôt trois objectifs fiscaux pour l’année 2022 visant à maitriser un taux d’inflation qui s’est établie à 50,9% en 2021 :
Ramener le déficit budgétaire à 2.5% du PIB (contre 3% en 2021)
Accumuler 6 milliards de dollars en réserves de change
Réduire le financement du déficit budgétaire par la Banque centrale à 1% du PIB (contre 3,7% en 2021)
En contrepartie, le FMI s’est engagé à repousser à 2026 le remboursement du prêt contracté par l’Argentine et à étaler les échéances jusqu’en 2034.
Les conditions de l’accord négocié par le ministre de l’économie Martin Guzman avec le FMI laissaient donc entrevoir une période de répit pour le gouvernement argentin et la possibilité d’accentuer la relance économique.
Cependant, l’Argentine n’est pas épargnée par l’inflation globale. La hausse des prix des matières premières a certes profité aux secteurs exportateurs du pays (l’agriculture en premier lieu) mais cela ne compense pas la hausse du coût des importations de gaz et ses répercussions sur les ménages et le secteur industriel.
Les chiffres de l’inflation du mois de juin dévoilés par l’INDEC montrent ainsi une hausse des prix constante depuis le début de l’année 2021. L’inflation a atteint 5,3% sur le mois de juin 2022, 64% sur douze mois et 36,2% depuis le début de l’année. Il s’agit du cinquième mois de suite où l’inflation dépasse 4%. L’impact de la hausse des prix est le plus fort sur les médicaments et sur l’électricité, l’eau et les combustibles. La Banque centrale a revu à la hausse ses prévisions pour l’inflation, qui pourrait atteindre 72% en fin d’année. D’autres scénarios plus pessimistes envisagent un taux d’inflation autour de 90% en 2022.
Les prévisions du FMI en avril dernier établissaient un taux de croissance du PIB à 4% pour l’année 2022. Or, l’activité économique du pays semble déjà fléchir. La croissance du premier trimestre s’est établi à 0.9% (contre 1% espéré), dans une période encore relativement épargnée par l’inflation. De plus, les exportations agricoles seront moins importantes dans les prochains mois, la saison des récoltes touchant à sa fin. Ainsi, certains économistes s’attendent à un taux de croissance plus proche de 3% en 2022.
Dans ces conditions, les objectifs fixés par le FMI il y a quelques mois paraissent déjà difficiles à atteindre. Et la démission du ministre de l’économie Martin Guzman pourrait être le signe d’une rupture dans la politique économique du pays. L’artisan de l’accord passé avec le FMI jouissait d’une certaine crédibilité auprès des créanciers de l’Argentine et était un des hommes forts du président Alberto Fernandez. Comme il l’a laissé entendre dans sa lettre de démission, sa sortie du gouvernement est en partie due aux divisions qui règnent dans l’entourage du président.
Depuis la défaite subie aux élections législatives de 2021, la coalition gouvernementale “Frente de Todos”, qui réunit plusieurs courants de gauche, n’est plus aussi soudée qu’auparavant. L’influence de la vice-présidente Cristina Kirchner est de plus en plus palpable dans les décisions du gouvernement. L’ancienne présidente défend une position plus radicale et populiste en matière de politique économique : augmenter les dépenses publiques afin de protéger les Argentins de l’inflation, quitte à s’affranchir des obligations du pays envers le FMI concernant la maitrise du déficit public. En mars dernier, Cristina Kirchner et ses proches avaient ainsi voté contre l’accord négocié par Martin Guzman avec le FMI. Depuis, l’ex-ministre de l’économie n’a pas eu la marge de manœuvre nécessaire pour appliquer les réformes annoncées, notamment la réduction des subventions à l’énergie ; une situation qui l’a poussé à présenter sa démission.
Pour le remplacer, la nomination de Silvina Batakis, proche de Cristina Kirchner est donc interprétée comme un revers pour le président Alberto Fernandez et le signe d’un changement de cap. Silvina Batakis représente un courant interventionniste d’avantage aligné avec le clan péroniste de la vice-présidente. Pour le moment, Silvina Batakis semble adopter la même position que son prédécesseur. Elle a affirmé à plusieurs reprises vouloir respecter l’accord négocié avec le FMI. Mais la plupart des observateurs se demandent comment elle va pouvoir maitriser l’inflation à court terme si elle n’a pas plus de leviers que Martin Guzman.
Quoi qu’il arrive, Cristina Kirchner dispose désormais d’une alliée au ministère de l’économie. Un point important si la situation de l’Argentine continue à se détériorer et alors que de nouvelles élections générales auront lieu en 2023.
Le président Alberto Fernandez accuse désormais un déficit de crédibilité auprès des Argentins et son gouvernement est sous pression alors que les salaires ne suivent pas le rythme de l’inflation. Les manifestations se sont multipliées ces derniers mois, notamment le 9 juillet, jour de fête nationale. La filière agricole est particulièrement touchée par la hausse des prix et marquée par des mouvements de grève. Les prochains mois pourraient être décisifs pour la stabilité du gouvernement d’Alberto Fernandez et sa survie jusqu’aux élections d’octobre 2023.