Guerre en Ukraine : quelles conséquences pour l'Amérique latine ?
La guerre menée par la Russie en Ukraine bouleverse l’ordre mondial. Quelles sont les conséquences pour l'Amérique latine ?
La guerre menée par la Russie en Ukraine bouleverse l’ordre mondial et malgré la distance, le conflit qui voit le jour aux portes de l’Europe pourrait avoir des conséquences en Amérique latine sur le plan économique mais aussi stratégique.
Hausse des cours des matières premières
Face à l’invasion russe en Ukraine, les Etats-Unis, l’Union européenne et d’autres pays occidentaux ont adopté des séries de sanctions économiques contre la Russie, visant les principaux oligarques proches du pouvoir et les secteurs économiques clés. Ces sanctions, si elles visent à isoler économiquement la Russie, vont fortement affecter le cours mondial des matières premières. Un contexte qui pourrait dans un premier temps profiter aux économies latino-américaines, encore dépendantes de leurs exportations dans les secteurs de l’énergie et de l’agriculture.
La Russie est un des plus importants producteurs de pétrole, gaz, cuivre, blé et autres céréales à l’échelle mondiale. Les cours de ces matières premières ont déjà fortement augmenté ces derniers mois mais les sanctions contre la Russie vont accélérer cette tendance. Ainsi, selon différentes estimations, le cours du baril de pétrole qui s’affichait à 103 USD le 28 février, pourrait augmenter jusqu’à 130 voire 150 USD à terme. Dans ce secteur de l’énergie, le Mexique, l’Equateur, la Colombie et le Venezuela devraient tirer profit d’une hausse des prix sur le pétrole.
Concernant les produits agricoles, c’est l’Argentine qui pourrait bénéficier de la hausse des prix du blé notamment. En 2021, le pays était le septième exportateur mondial de blé (2 milliards USD) alors que la Russie se plaçait en première position (7,9 milliards USD) et l’Ukraine en cinquième position (3,6 milliards USD). Cependant, dans la majorité des autres pays d’Amérique latine, le blé est une denrée qui doit souvent être importée. En 2020, les principaux importateurs de blé en Amérique latine étaient le Brésil (1,5 milliard USD) et le Mexique (1,08 milliard USD), suivis par le Pérou (564 millions USD), un pays qui importe 90% de sa consommation de blé.
Si certains pays pourraient donc profiter de la hausse du cours des matières premières, cette tendance ne sera vraie que sur le court terme et seulement si le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne s’intensifie pas. En revanche, si la situation s’empire et se prolonge dans le temps, la hausse des prix des matières premières deviendrait alors source d’inflation au niveau international. Cela provoquerait une hausse des taux d’intérêts et par conséquent un risque de récession important en Amérique latine, région plus que fragile sur le plan financier.
Vers une montée des tensions en Amérique latine ?
Ces dix dernières années, la présence russe s’est accrue en Amérique latine. Pour preuve, une semaine avant l’invasion par les forces armées russes en Ukraine, la diplomatie russe visitait plusieurs pays en Amérique latine (Cuba, Venezuela et Nicaragua). Ces derniers mois, Vladimir Poutine avait ouvert la porte à l’Argentine et le Brésil, appelant à une meilleure coopération entre ces pays et la Russie. Les présidents Alberto Fernandez (Argentine) et Jair Bolsonaro (Brésil) s’étaient ensuite succédés au Kremlin lors de visites officielles.
Si Moscou s’est rapproché de l’Amérique latine ces dernières années c’est notamment parce que la région a été délaissée par la diplomatie américaine depuis une quinzaine d’années. Une tendance qui s’est confirmée sous le mandat de Donald Trump, qui s’était uniquement focalisé sur les questions migratoires. C’est avant tout la Chine qui a tiré profit de ce “retrait” américain de fait, pour nouer des partenariats commerciaux avec la plupart des pays d’Amérique latine. La Russie a elle entretenu ses relations dans la région, en apportant tout particulièrement son soutien aux régimes anti-impérialistes, conservant ainsi une présence dans la sphère d’influence américaine.
A Cuba, le régime de Miguel Diaz-Canel entretient des relations étroites avec la Russie, principalement sur le plan économique. Le 22 février 2022, la Russie a accepté de reporter jusqu’en 2027 le remboursement de dettes dues par Cuba. Une décision qui fait suite à la visite du vice-premier ministre russe Yuri Borisov, une semaine auparavant à La Havane. A cette occasion, le gouvernement cubain avait annoncé vouloir renforcer ses liens avec la Russie sur le plan énergétique, industriel et financier. La Russie continue de considérer Cuba comme un allié très proche et se positionne en tant que défenseur du régime de La Havane.
Au Venezuela aussi la Russie apporte son soutien au régime de Nicolas Maduro. L’Etat d’Amérique du sud, isolé sur la scène internationale, continue à bénéficier de l’aide de Moscou sur plusieurs plans. Ces dernières années, Moscou a en effet aidé le régime de Maduro a créer une crypto-monnaie spécifique pour le Venezuela. La Russie a également fourni au Venezuela des vaccins contre la Covid-19. Le Venezuela achète des équipements militaires à la Russie depuis de nombreuses années, à tel point que l’arsenal de l’armée vénézuélienne est quasiment exclusivement d’origine russe. Sur le plan stratégique et militaire, la relation entre Moscou et Caracas pourrait aller plus loin dans les prochains mois. En effet, suite à des discussions entre les représentants des deux pays, Nicolas Maduro a confirmé le 17 février dernier, la volonté de renforcer les initiatives de coopération avec la Russie en matière de préparation et d’entrainement militaire. Interrogés sur le sujet, ni les diplomates russes ni les diplomates vénézuéliens n’ont souhaité se prononcer sur la possibilité d’envoi de troupes par Moscou au Venezuela. En 2019, la Russie avait envoyé 100 militaires à Caracas pour soutenir le régime de Maduro.
Ainsi, si le conflit entre la Russie et l’Ukraine venait à s’internationaliser, le Venezuela pourrait devenir le terrain d’un nouvel affrontement stratégique entre la Russie et l’OTAN. En effet, des tensions pourraient apparaître à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, une zone déjà placée sous haute surveillance par Washington. Depuis plusieurs années, le gouvernement de Bogota demande avec insistance à ce que les Etats-Unis agissent en faveur d’une résolution de la crise au Venezuela. La Colombie est même devenu un pays allié de l’OTAN* afin de bénéficier d’un soutien plus prononcé de Washington. La Colombie partage plus de 2200 kilomètres de frontière avec le Venezuela et le pays est le premier récepteur des migrants vénézuéliens qui fuient leur pays depuis 2014. A l’initiative des USA, des pourparlers entre la Colombie et le Venezuela avaient été engagés à Mexico mais ceux-ci ont été stoppés en Octobre 2021 et la crise géopolitique actuelle n’est pas idéale pour envisager une reprise des discussions. La diplomatie américaine suit donc de très près la situation entre la Colombie et le Venezuela.
Enfin, au Nicaragua, le président Daniel Ortega, dont la réélection pour un quatrième mandat consécutif en novembre dernier n’a pas été reconnue par les Etats-Unis, est aussi un soutien historique de la Russie. Les relations entre les deux pays se sont accélérées depuis le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2006. La Russie fournit des équipements militaires au Nicaragua et dispose d’un poste d’écoute et de surveillance dans le pays.
Dans le reste de l’Amérique latine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été condamnée par les dirigeants en place avec plus ou moins de véhémence. L’Argentine et le Mexique ont dénoncé l’usage de la force dans la résolution des conflits. Le Brésil, qui siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations Unies, a condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cependant, le président brésilien Jair Bolsonaro a ensuite déclaré que le Brésil devait rester neutre, refusant de condamner clairement les velléités de Vladimir Poutine.
L’Amérique latine reste donc exposée à la volatilité des prix des matières premières et la Russie y maintient une influence significative. Un contexte qui pourrait être favorable à une montée des tensions dans la région en fonction de l’évolution du conflit en Ukraine.
*La Colombie est devenu en 2017 le premier pays d’Amérique latine a obtenir le statut de partenaire mondial de l’OTAN