Le Salvador fait le pari du Bitcoin

Le Salvador est devenu le 7 septembre dernier le premier pays au monde à adopter le Bitcoin comme monnaie légale. Un pari osé par le président Nayib Bukele qui laisse de nombreux observateurs perplexes. 

Le Bitcoin est devenu monnaie officielle au Salvador, au même titre que le dollar américain, le 7 septembre dernier. La loi entrée en vigueur et nommée “Ley Bitcoin”, prévoit que la crypto-monnaie puisse être utilisée dans les commerces et institutions financières du pays. Toutefois, des interrogations persistent sur l’obligation ou non pour les commerçants d’accepter, à terme, les paiements en Bitcoin.

Depuis le 7 septembre, le Salvador a acheté 700 Bitcoin (environ 30 millions de dollars américains) et le Parlement a voté la constitution d’un fonds de convertibilité de 150 millions de dollars. 

Plus de 200 “kiosques” à Bitcoin ont été installés dans le pays : ils permettent de déposer des dollars américains et de recevoir l’équivalent en Bitcoin sur un portefeuille numérique. Pour l’occasion, le gouvernement a lancé un portefeuille numérique nommé Chivo et propose d’offrir 30 dollars à tout Salvadorien qui s’inscrit sur cette plateforme. Une façon moderne pour l’Etat de “bancariser” une partie de la population parfois méfiante vis-à-vis des institutions financières. Selon le gouvernement, l’application Chivo a enregistré plus de 1 million d’inscriptions depuis le 7 septembre. 

Le président Nayib Bukele espère notamment que le Bitcoin permettra d’attirer des investisseurs et d’échapper aux frais appliqués par le secteur bancaire traditionnel sur les transferts d’argents de la diaspora salvadorienne. En effet, près de 2 millions de Salvadoriens vivent à l’étranger (pour une population interne de 6,5 millions d’habitants) et les transferts d’argent représentent environ 20% du PIB. Pour le pays qui a adopté le dollar américain comme monnaie officielle depuis 20 ans, c’est également un moyen d’être moins dépendant de la monnaie américaine.

Toutefois, le virage pris par le Salvador de Nayib Bukele laisse pour l’instant perplexe de nombreux observateurs, à commencer par les organisations internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale. Elles mettent en garde contre la volatilité du Bitcoin et ses effets néfastes sur l’économie à moyen terme. L’agence Standard & Poor’s a par ailleurs indiqué que l’adoption du Bitcoin était considérée comme un nouveau risque ayant un impact direct sur les capacités de financement du pays. Le Salvador négocie actuellement un prêt d’1 milliard de dollars avec le FMI pour soutenir le budget du pays jusqu’en 2023.

Les Salvadoriens quant à eux semblent partagés. Certains ont accueilli avec enthousiasme l’arrivée du Bitcoin dans l’économie du pays. D’autres dénoncent la mise en place d’un système monétaire obscur et dématérialisé, dans un pays avec un faible accès à internet : en 2019 seul 50% de la population disposait d’un accès à internet selon les données de la Banque mondiale. Les plus critiques s’inquiètent de voir le Salvador servir de laboratoire aux différents acteurs des crypto-monnaies et notamment aux réseaux criminels et de narcotrafics. Quoi qu’il en soit, les investissements attendus n’arriveront certainement pas tout de suite. En effet, beaucoup d’incertitudes persistent autour du Bitcoin mais aussi sur les velléités de Nayib Bukele. 

Malgré sa jeunesse (40 ans), sa communication moderne et un taux d’opinion favorable historique avoisinant les 90% depuis son élection en 2018, Nayib Bukele a récemment suscité certaines critiques à son égard. Après la victoire écrasante de son parti Nuevas Ideas aux élections législatives de février 2021, Nayib Bukele a placé 5 juges sympathisants à la Cour Suprême. Celle-ci a autorisé début septembre Nayib Bukele à être candidat à sa propre succession en 2024, alors que la Constitution interdisait jusque-là à un président d’exercer deux mandats successifs. Nayib Bukele a donc progressivement pris le contrôle des trois branches de l’Etat. 

Face à ces manœuvres, des manifestations apparaissent mais constituent pour l’instant un mouvement minoritaire. Le président profite encore d’une popularité historique (malgré une récente baisse dans les sondages d’opinion) et incarne encore pour beaucoup le renouveau et la modernité au Salvador. 

Pour concrétiser l’engouement que Nayib Bukele souhaite susciter autour du Bitcoin, il devra offrir avant tout des garanties sur le respect de la règle démocratique au Salvador.