Quels enjeux pour Joe Biden en Amérique latine ?
L'arrivée de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis annonce d’importants changements dans les relations diplomatiques entre Washington et les pays d’Amérique latine.
Le président, qui a pris ses fonctions ce mercredi 20 janvier 2021, fera face à une région divisée, fragile et fortement touchée par la crise du Covid-19. Durant la campagne présidentielle, largement focalisée sur les problématiques internes, il s'est engagé en faveur d'une reconfiguration de la stratégie de Washington avec l'Amérique latine pour les quatre ans à venir.
La fin d'une diplomatie source de divisions en Amérique latine
Sous la présidence de Donald Trump, les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et les pays latino-américains se sont fortement détériorées. Globalement désintéressée par la région, Donald Trump a surtout cherché à y imposer son agenda diplomatique pour servir les intérêts américains, ce dans une logique binaire : les pays d'Amérique latine étaient "avec les Etats-Unis ou contre les Etats-Unis". Cette stratégie a créé des tensions sur plusieurs dossiers et une polarisation politique au sein de la région.
L'administration Trump a déplacé sa guerre commerciale avec la Chine en Amérique latine. Washington a exigé de certains pays latino-américains qu'ils favorisent les investissements américains au lieu des investissements chinois, quitte à tourner le dos aux pays qui ne s'y plieraient pas. Depuis une quinzaine d'années, le géant d'Asie est devenu l'un des premiers partenaires commerciaux de nombreux pays de la région, prenant parfois la place des Etats-Unis. L'Equateur est un des pays qui s'est aligné avec Washington. Ce qui a facilité pour le pays l'obtention d'un prêt de 4,2 milliards de dollars de la part du FMI en février 2019. Un an plus tard, en février 2020, le président Lenin Moreno était même reçu à la Maison Blanche dans le cadre de négociations sur un accord commercial bilatéral. Au contraire, en concluant une série d'accords d'investissements avec la Chine en décembre 2018, le Panama s'était attiré les foudres de Washington.
Sur la crise au Venezuela et les relations avec Cuba, la position rigide des Etats-Unis a là aussi créé une polarisation. Certains pays comme le Brésil, la Colombie et la République Dominicaine ont soutenu la stratégie adoptée par Washington envers Caracas et La Havane.
Enfin, la question migratoire a été source de conflits entre les Etats-Unis et les pays d'Amérique centrale. Là encore, Washington a cherché à imposer sa loi en exigeant des pays comme le Salvador, le Honduras et le Guatemala un meilleur contrôle des flux migratoires, allant jusqu'à couper les aides au développement à ces pays en 2019. Le sujet de l'immigration a également rythmé les relations avec le Mexique, symbolisées par la construction du mur à la frontière. En menaçant le Mexique d'une hausse des taxes à l'import, Washington a mis la pression sur le Mexique pour mieux contrôler ses frontières. La détention des migrants sur le sol américain et la séparation des familles de leurs enfants ont été l'objet de vives polémiques aux Etats-Unis.
Joe Biden face à une région affaiblie sur le plan économique et politique
A l'inverse de Donald Trump, Joe Biden connaît bien l'Amérique latine. Alors qu'il était Vice-Président des États-Unis, il a effectué au total 16 visites dans la région. Mais depuis sa dernière visite, l'Amérique latine a bien changé.
Depuis 2016, la région a été le théâtre d'un soulèvement historique contre la corruption. Cela a entrainé une remise en cause de la classe politique traditionnelle qui, malgré des pratiques archaïques, assurait une stabilité politique et économique. Ce "dégagisme" des élites a mis à mal les institutions politiques et a favorisé l'arrivée au pouvoir de gouvernants davantage populistes, conservateurs et parfois appuyés par l'armée. Même si les démocraties latino-américaines se sont érodées, dans la plupart des cas elles semblent pour l'instant tenir bon. Sur le plan économique, la forte croissance des années 2000 avait permis la consolidation d'une classe moyenne émergente dans de nombreux pays : Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique et Uruguay entre autres. Depuis 2013 et la fin du boom des matières premières, les performances économiques sont restées ternes dans la région. Le mécontentement des citoyens face à la stagnation économique et au risque de déclassement social a bousculé les gouvernements en place, peu enclins à augmenter les dépenses publiques dans un contexte de faible croissance économique.
La crise du Covid-19 a donc frappé durement une région fébrile sur le plan démocratique et en manque de dynamisme économique. Depuis l’apparition du virus dans la région en mars 2020, l'Amérique latine et les Caraïbes ont enregistré plus de 540.000 décès liés au Covid-19. Les infrastructures sanitaires sous-développées, l'importance du secteur informel et le manque de flexibilité budgétaire pour soutenir l'économie sont autant de facteurs qui ont aggravé les effets de la crise sanitaire.
Dans ce contexte, Joe Biden cherchera à renouer des relations équilibrées avec les pays latino-américains. Il devra se confronter à la fois à des gouvernements qui appuyaient la politique agressive de Trump et d'autres qui semblent ne plus compter sur l'aide de Washington. Comme sur le plan national, en Amérique latine le nouveau Président américain devra donc jouer la carte de la réconciliation et en premier lieu avec son voisin direct, le Mexique.
Une politique migratoire plus humaine mais pas sans contreparties
Au Mexique, celui qui a été intronisé 46ème Président des Etats-Unis ce mercredi 20 janvier 2021 devra avancer prudemment avec son homologue Andrès Manuel Lopez Obrador (souvent appelé "AMLO"). Le Président mexicain a été le dernier dirigeant latino-américain à reconnaître la victoire du candidat démocrate, le 21 décembre 2020. M. Lopez Obrador n'a en effet pas manifesté l'enthousiasme que l'on aurait pu imaginer à l'annonce de l'élection de Joe Biden. En réalité, malgré les humiliations et la pression mise par Donald Trump sur le gouvernement mexicain, AMLO semblait avoir trouvé sa place aux côtés de son homologue américain. Ce dernier a poussé le Mexique à renégocier l'ALENA (désormais appelé USMCA) et a mis la pression sur le pays pour appliquer un contrôle plus strict à ses frontières. Dans les deux cas, l'administration mexicaine n'a pas vraiment eu le choix et pour AMLO, accepter les exigences de Washington sur ces deux sujets lui garantissait une certaine tranquillité sur d'autres dossiers. Or, avec l'arrivée de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, les relations entre Washington et Mexico devraient changer. Le Président américain souhaite se préoccuper davantage de ce qu'il se passe au sud de la frontière. Et c'est bien ce que semble anticiper le Président populiste du Mexique.
L'administration Biden prévoit de faire marche arrière sur la politique migratoire et rétablir des conditions d'accueil moins répressives que celles imposées par Trump. Le nouveau Président américain a déjà suspendu la construction du mur à la frontière par un décret signé dès les premières heures suivant son investiture. Il souhaite favoriser à nouveau la coopération bilatérale à la frontière avec le Mexique et vise même une approche coordonnée de la question migratoire en Amérique Centrale.
Le renouvellement des relations diplomatiques avec le Mexique doit permettre au nouveau Président américain d'être plus exigeant sur les questions de sécurité, de lutte contre le trafic de drogue et le réchauffement climatique. A cet égard, le Président mexicain reste pour l'instant méfiant. En décembre dernier, le Congrès mexicain a voté une loi visant à limiter les interventions des administrations américaines au Mexique. Cette loi, qui devrait constituer un obstacle majeur pour la coopération en matière de sécurité, a été adoptée suite à l'imbroglio diplomatique entre les deux pays autour de l'arrestation de l'ex-Ministre de la Défense mexicain Salvador Cienfuegos par la DEA (Drug Enforcement Administration), le 15 octobre 2020 à Los Angeles. Accusé de trafic de drogue et de blanchiment d'argent, son arrestation s'est faite sans consultation préalable du gouvernement mexicain. En décembre et à la surprise générale, le procureur de New York chargé de l'affaire avait finalement abandonné les charges contre le général Cienfuegos, lui permettant de retourner au Mexique, où il ne devrait pas être poursuivi par la justice.
Sur les questions climatiques, les ambitions de Joe Biden pourraient porter un coup à l'économie mexicaine et en particulier aux secteurs pétrolier et automobile, déjà durement touchés par la crise du Covid-19. PEMEX, l'entreprise pétrolière publique du Mexique, connaît une baisse de sa production depuis plusieurs années. Si des restrictions d'ordre environnemental venaient à être exigées par les Etats-Unis, elles pourraient mettre en péril l'entreprise qui est aujourd'hui encore considérée comme une institution nationale et un symbole de l'indépendance du pays. En revanche, l'interventionnisme écologique de Washington permettrait à AMLO de renouveler un discours anti-impérialiste qui trouve un certain écho dans une partie de son électorat.
Repenser la gestion de la crise vénézuélienne et relancer le rapprochement avec Cuba
A Cuba, Joe Biden pourrait faire face à un dilemme. D'un côté le Président américain a annoncé vouloir retirer les restrictions mises en place par Donald Trump sur les voyages et les transferts d'argents pour ainsi revenir progressivement à un dégel des relations avec Cuba, amorcé sous la présidence de Barack Obama. De l'autre, les résultats des élections présidentielles et particulièrement en Floride, ont montré que la communauté latino aux Etats-Unis avait plutôt adhéré à la stratégie de son prédécesseur qui consistait à isoler et affaiblir le régime communiste de La Havane. Cependant, le Président Cubain Miguel Diaz-Canel, élu en 2019, a montré sa volonté d'amorcer d'importants changements à Cuba, posant les bases d'une ouverture économique de l'île dans les années à venir. Si cette tendance se confirme, l'administration Biden pourrait en profiter pour franchir un nouveau cap dans le rapprochement diplomatique des deux pays.
La crise vénézuélienne continue de battre son plein et a fait plus de 4 millions de réfugiés. La majorité des vénézuéliens qui ont quitté leur pays ont rejoint la Colombie. Face à cette situation, le gouvernement colombien cherche une résolution rapide de la crise et avait donc soutenu Donald Trump et les sanctions imposées par les Etats-Unis contre le gouvernement de Nicolás Maduro et son entourage. Aujourd'hui, force est de constater que cette stratégie a échoué. Nicolás Maduro semble avoir plus que jamais le contrôle sur les institutions du pays. L'opposition vénézuélienne, divisée, a été totalement écartée de la vie politique du pays et son représentant Juan Guaidó (auto-proclamé Président en janvier 2019, reconnu par plus de 50 pays dont les Etats-Unis) est de plus en plus isolé.
Malgré cela, Joe Biden a d'ores et déjà renouvelé son soutien à Juan Guaidó. Mais le Président américain souhaite changer de stratégie et abandonner le postulat selon lequel Washington pourrait régler cette crise tout seul. Au contraire, il souhaite mobiliser les pays de la région, et en premier lieu la Colombie, en faveur d'une résolution pacifique du conflit. Depuis 2013 et le début de cette crise, les pays de la région ont souhaité à plusieurs reprises trouver une solution collective à la situation au Venezuela. Mais ces tentatives ont toutes échoué car partout dans la région sauf au Venezuela, les gouvernements ont changé et se sont davantage recentrés sur des problématiques internes. Il n'y a plus d'unité politique dans la région qui permette de faire front commun face au Venezuela. Ainsi, s'il veut trouver une résolution pacifique à la crise vénézuélienne, Joe Biden devra réunir les différents pays concernés et faire en sorte que l'affrontement Washington-Caracas, qui nourrit la rhétorique anti-impérialiste de Nicolás Maduro, laisse place à une gestion multilatérale du conflit.
L'environnement au cœur de l'avenir des relations entre les Etats-Unis et l'Amérique latine
Lors de la campagne présidentielle, Joe Biden et le Parti Démocrate ont fait de la lutte contre le réchauffement climatique l'une de leurs priorités. Le nouveau Président américain souhaite remettre son pays sur le devant de la scène en ce qui concerne les enjeux climatiques. Joe Biden a déjà annoncé que sa première décision en tant que Président consisterait à réintégrer l'Accord de Paris sur le Climat. Le pays avait quitté cet accord sous la présidence de Donald Trump en 2017.
Les ambitions du nouveau Président américain devraient l'amener à se tourner vers l'Amérique latine. Comme évoqué plus haut, la lutte contre le réchauffement climatique sera un des points clés de la relation entre les Etats-Unis et le Mexique. Alors que l'économie mexicaine reste dépendante des énergies fossiles et en particulier du pétrole, Joe Biden souhaite promouvoir les investissements dans les énergies renouvelables. L'économie mexicaine est fortement dépendante du marché américain et les deux pays partagent des chaînes de valeur dans certains secteurs comme l'automobile. C'est pourquoi la lutte contre le réchauffement climatique pourrait s'avérer être un sujet sensible entre Washington et Mexico.
Au Brésil également, Joe Biden compte agir pour le climat. Lors du premier débat présidentiel, il a annoncé qu'il souhaitait créer un fonds international de 20 milliards de dollars pour la protection de la forêt amazonienne. En outre, Joe Biden a déclaré que le gouvernement de Jair Bolsonaro pourrait s'exposer à des sanctions financières si la déforestation en Amazonie venait à se poursuivre au rythme actuel. Les discussions entre Joe Biden et son homologue brésilien sur l'environnement seront certainement compliquées mais elles paraissent inévitables et plus que jamais nécessaires.