Le retour de Lula dans un Brésil divisé
Les ambitions de Lula se confronteront à la réalité économique et à une opposition en position de force au sein des institutions.
Lula a remporté le 30 octobre le second tour de l’élection présidentielle, récoltant 51% des voix contre 49% pour Jair Bolsonaro. Le scrutin a été particulièrement serré et pendant une bonne partie de la soirée électorale c’est Jair Bolsonaro qui disposait d’une légère avance. Malgré des tensions autour du vote et la crainte d’un coup d’Etat, la victoire de Lula a été reconnue unanimement par les institutions brésiliennes et la communauté internationale, soulignant in fine, la solidité de la démocratie brésilienne.
Le silence de Jair Bolsonaro pendant près de 48h après les résultats du scrutin à tout de même laisser planer un doute sur la suite des événements. Le président sortant a finalement pris la parole le mardi 1er octobre, remerciant les 58 millions de Brésiliens qui avaient voté pour lui et demandant à ses partisans de ne pas empêcher “la libre circulation”, faisant référence aux routiers brésiliens qui avaient commencé à bloquer certains axes. Sans reconnaître explicitement sa défaite, Jair Bolsonaro a déclaré qu’il souhaitait respecter la transition démocratique telle qu’elle est prévue par la Constitution. Malgré cela, de nombreux partisans de Jair Bolsonaro se sont regroupés devant des casernes militaires un peu partout dans le pays, demandant l’intervention de l’armée. Le camp Bolsonaro est depuis très silencieux et les protestations se sont progressivement estompées. Ce jeudi, l’armée brésilienne a révélé qu’aucune fraude n’avait été constatée lors du vote, mettant ainsi fin aux espoirs des soutiens de Jair Bolsonaro.
L’ex-président a donc voulu calmer le jeu après avoir sous-entendu à plusieurs reprises durant la campagne qu’il ne reconnaîtrait pas sa défaite. En réalité, le score enregistré lors du second tour et la majorité obtenue par son parti au sein du Congrès ont conféré à Jair Bolsonaro une légitimité politique importante en tant que leader de la droite brésilienne. Fort de ce statut, Jair Bolsonaro peut opérer une transition démocratique pacifique et tenir le rôle de premier opposant à Lula.
A 77 ans, Luis Inacio da Silva se prépare ainsi à servir son 3ème mandat à la tête du Brésil. Comme il l’a reconnu lors de sa victoire, il s’agit cette fois-ci d’un tout autre Brésil que celui qu’il avait présidé entre 2002 et 2010. Comme l’a montrée l’élection, la société brésilienne est extrêmement divisée entre deux camps qui paraissent irréconciliables. Lula est très critiqué par la droite brésilienne qui garde en mémoire l’affaire Lava Jato qui avait touché tout le Parti Travailliste et mené à la condamnation en 2017 de Lula (annulée en 2021).
A partir de février 2023, Lula fera face à un Congrès où le Parti Travailliste sera minoritaire. Comme il l’a fait pour l’élection présidentielle, il devra à nouveau nouer des alliances avec les parti centristes au sein des deux chambres législatives, ce afin d’éviter toute procédure de destitution ou pour faire passer des réformes constitutionnelles. En contrepartie, Lula devrait ainsi nommer plusieurs personnalités centristes au sein de son gouvernement. La marge de manœuvre dont le président disposera sera particulièrement décisive pour amorcer les mesures économiques nécessaires. Lula est particulièrement attendu sur ce sujet.
En effet, l’économie brésilienne n’a toujours pas récupéré de la crise du Covid-19. Les inégalités et la pauvreté ont progressé dans le pays et la croissance économique a du mal à repartir. Dans ce contexte, Lula a fait campagne en promettant une augmentation des dépenses sociales en faveur des plus démunis, une réduction des impôts sur le revenu et l’augmentation du salaire minimum. Un programme économique estimé à 27 milliards de dollars pour l’année 2023 qui sera difficile à tenir pour Lula. En effet, la hausse des taux d’intérêts à l’échelle globale va restreindre les capacités d’endettement de beaucoup de pays, et n’épargnera pas le Brésil. Les dépenses prévues pourraient aussi entrainer une hausse des prix, alors que l’inflation est déjà importante au Brésil. Les premières annonces de Lula ont déja déclenché une réaction négative des marchés financiers. Lula devra donc avancer avec prudence et convaincre ses alliés au Congrès pour faire passer ces mesures qui auront un impact significatif sur la croissance brésilienne.
Sur le plan régional et international, le retour de Lula devrait enclencher une nouvelle dynamique. Dès le soir du second tour, le président à renouveler ses engagements en faveur d’un commerce international plus équitable, à lutter contre la crise climatique mais aussi à faire campagne pour devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Lula souhaite en effet amorcer un retour du Brésil sur le devant de la scène internationale, à l’image de ses deux premiers mandats entre 2002 et 2010. Rapidement félicité par la plupart des gouvernements étrangers, il a mis l’accent sur la coopération climatique lors des différentes conversations téléphoniques.
Un rapprochement entre le Brésil de Lula et les Etats-Unis est particulièrement attendu. L’administration de Joe Biden s’est positionnée en faveur de Lula et des avancées sont espérées entre les deux pays sur la coopération économique et la lutte contre le réchauffement climatique. Toutefois, Washington sera attentif aux positions de Lula sur le conflit en Ukraine et sur les relations du Brésil avec la Russie et la Chine, pays membres des BRICS.
Le retour de Lula laisse aussi entrevoir une nouvelle dynamique régionale, en particulier avec le Mercosur dans lequel le Brésil joue un rôle déterminant. Le président brésilien a également exprimé sa volonté de se rapprocher de l’Alliance du Pacifique (Mexique, Chili, Pérou, Colombie) et de redonner une impulsion à l’UNASUR.