Chili : vers un échec du processus constitutionnel

Le deuxième projet de Constitution pourrait être rejeté dans les urnes ce dimanche.

Des Chiliens célèbrent le rejet du premier projet de Constitution en septembre 2022. Photo Sipa/Sebastian ÑANCO

Les Chiliens s’apprêtent à s’exprimer lors d’un référendum ce dimanche 17 décembre en faveur ou contre un projet de nouvelle Constitution. C’est la deuxième fois en un peu plus d’un an qu’un référendum a lieu pour adopter une nouvelle Constitution.

Suite aux manifestations de 2019, très violemment réprimées par la police, les forces politiques du pays ont enclenché un processus de révision constitutionnelle. L’actuelle Constitution, instaurée en 1980 par la dictature de Pinochet et qui a façonné le développement économique du Chili depuis le retour à la démocratie, est aujourd’hui jugée trop libérale par une grande partie des Chiliens et notamment la jeunesse. Les structures politiques, économiques et sociales imposées par cette Constitution de 1980 ne répondent pas aux exigences actuelles et notamment lutter efficacement contre des inégalités structurelles.

Depuis l’amorce d’un projet de nouvelle Constitution, la gauche a revendiqué la rédaction d’un texte qui assure un rééquilibrage des institutions du Chili, plus inclusives et protectrices des classes les plus modestes et des minorités. Ce projet a été au coeur de la campagne de Gabriel Boric, élu président en décembre 2021. Toutefois, le texte (établi par une convention constitutionnelle composée de personnalités de gauche) a finalement été perçu comme trop radical pour une majorité des Chiliens qui l’ont rejeté à 62% en septembre 2022.

Après l’échec du premier projet, le président Boric avait recentré son gouvernement et proposé un nouveau processus qui prenne davantage en compte la diversité politique du Chili. Dans une approche plus démocratique, les membres du conseil constitutionnel, chargé de rédiger un nouveau texte, devaient être élus lors d’un vote le 8 mai 2023. Lors de ce suffrage, c’est l’opposition de droite qui a remporté la majorité et qui a donc eu l’initiative de rédiger la nouvelle Constitution.

Ce nouveau projet de Constitution sera donc soumis à référendum ce 17 décembre et le texte a de grandes chances d’être rejeté car il est le fruit des mêmes erreurs que le précédent : le processus constitutionnel a été accaparé par un seul bord politique, qui n’a pas souhaité intégrer les propositions des autres camps. Ainsi, pour beaucoup ce nouveau texte est encore plus conservateur que la Constitution de 1980. Le texte représente en effet un status quo et même parfois un recul notamment sur les thématiques sociales, le droit à l’avortement et l’égalité hommes-femmes. Il verrouille également toute possibilité de réforme du système des retraites, aujourd’hui chasse gardée du secteur privé.

Si bien qu’il y a peu de chances pour que ce texte soit adopté ce dimanche. Une situation dans laquelle l’opposition de droite est gagnante dans les deux cas : si ce nouveau texte est adopté, la droite aura fait passer sa Constitution et obtiendrait une victoire politique significative. Si celle-ci n’est pas adoptée, le Chili conserverait la Constitution de 1980, un texte que la droite n’a jamais voulu abandonner.

Pour Gabriel Boric et son gouvernement, il vaudrait mieux que ce projet de nouvelle Constitution soit rejeté ce dimanche. Le président a annoncé qu’il n’enclencherait pas de troisième processus constitutionnel en cas de victoire du “non” ce dimanche. Un tel scénario serait certes perçu comme un échec politique pour le président (et la gauche chilienne) mais il lui permettrait de tourner la page de cet épisode constitutionnel et de retrouver une certaine marge de manœuvre pour le reste de son mandat.

Au contraire, si le projet de nouvelle Constitution venait a être adopté, Gabriel Boric et son gouvernement seraient alors contraints d’engager toute une série de projets de loi pour appliquer les nouvelles dispositions de la Constitution, ce qui pourrait occuper le pouvoir législatif pendant plusieurs années et “plomber” la présidence de Boric.

Le rejet du premier projet de Constitution avait forcé Gabriel Boric a remanié son gouvernement seulement neuf mois après le début de son mandat. Un imprévu qui a fragilisé la coalition politique du président et qui l’a exposé à des critiques de la part de la gauche alors que la polarisation politique s’est exacerbée autour de ce processus constitutionnel. La révision de la Constitution a en quelque sorte paralysé l’avancée des réformes souhaitées par Gabriel Boric, d’autant plus que le président chilien ne dispose pas d’une majorité suffisante au Parlement.

Depuis deux ans, les affrontements politiques autour du processus constitutionnel semblent avoir alimenté le désintérêt et la méfiance des Chiliens envers une classe politique qui apparaît incapable de s’entendre pour le futur du pays. Une fois la page tournée, Gabriel Boric espère pouvoir faire avancer autrement les réformes demandées par les Chiliens ; cela pourrait passer par la formation d’un nouveau mouvement politique dans les premiers mois de 2024.