Bolivie : la grève levée à Santa Cruz
Après 36 jours de crise, les autorités de la région de Santa Cruz ont suspendu samedi dernier la grève et les manifestations à l’encontre du pouvoir central.
À Santa Cruz, la plus grande ville du pays et la capitale économique, les manifestants réclamaient la tenue du recensement national prévue en novembre. Un recensement que le gouvernement de Luis Arce (MAS) a d’abord décidé de repousser à 2024, sans justification. La levée des blocages a été décidée suite à l’adoption par la Chambre des députés d’un calendrier fixant l’organisation de ce recensement à début 2024. La date à laquelle s’organise ce recensement est primordiale en vue des élections présidentielles et législatives qui se tiendront en 2025. C’est aussi un sujet de tensions entre Santa Cruz et La Paz, capitale administrative du pays.
Depuis fin octobre, la ville de Santa Cruz était ainsi paralysée, les manifestants bloquaient les rues et empêchaient l’acheminement de marchandises vers les autres régions du pays. Les manifestations se sont transformées à plusieurs reprises en affrontements violents contre la police, faisant quatre morts et plus de cent cinquante blessés. La situation a provoqué une véritable entrave a l’activité du pays, tant cette région représente le dynamisme économique de la Bolivie.
La population et les autorités locales de Santa Cruz protestaient contre la décision du gouvernement de Luis Arce de repousser le recensement national et exigeaient qu’il soit tenu en 2023. Le dernier recensement organisé en Bolivie date de 2012 et selon les manifestants, il ne reflète pas l’essor récent de la ville de Santa Cruz. Or, ce sont les chiffres de démographie qui permettent de déterminer la distribution de fonds publics et le nombre de sièges attribués à la Chambre des députés pour chaque département du pays.
Depuis une douzaine d’années, la ville de Santa Cruz connaît un développement important, avec un taux de croissance supérieur au taux national depuis 2011, en faisant ainsi l’une des villes connaissant la plus forte expansion en Amérique latine. La ville et sa banlieue ont été la destination d’un exode des populations rurales, venant chercher un travail mieux payé dans une région dynamique. Selon certaines estimations, la population aurait ainsi doublé en dix ans.
La ville de Santa Cruz est de loin la plus peuplée de Bolivie et est devenue progressivement le moteur économique du pays. Elle représente depuis cette année la première source des exportations du pays, passant devant Potosi et La Paz. L’essor de cette zone à l’est de la Bolivie s’explique notamment par les changements que connaît l’économie du pays depuis plusieurs années.
Jusque-là basée sur un modèle extractiviste, tournée vers l’exportation de gaz naturel et des métaux, l’économie bolivienne se repose de plus en plus sur sa production agricole. Les secteurs de l’élevage bovin et du soja ont en effet profité de façon significative de la demande chinoise, permettant le développement de toute une filière agricole dont le centre névralgique se situe à Santa Cruz.
Forts de cette position de locomotive économique du pays, les habitants de Santa Cruz demandent une redistribution plus juste des ressources de l’Etat et se sentent négligés par le gouvernement de La Paz. Certains appellent même à plus d’autonomie pour la région reprenant une campagne déjà initiée en 2008. La division entre Santa Cruz et La Paz est de plus en plus forte car elle est aussi politique. La population de Santa Cruz est plutôt conservatrice et catholique et majoritairement opposée au MAS, le parti de gauche au pouvoir de façon quasi ininterrompue depuis quinze ans.
Pour Luis Arce et son gouvernement, le mouvement de contestation est menée par les élites de l’agro-business de Santa Cruz qui souhaitent affaiblir le pouvoir et le pays en paralysant l’activité économique. Le ministre de l’Economie Marcelo Montenegro, estimait début novembre à 500 millions de dollars le coût économique généré par le mouvement de grève. Pour mettre fin à la grève, le gouvernement bolivien a proposé d’organiser le recensement national en mars 2024, alors que les manifestants demandaient à ce qu’il soit tenu en 2023. Les habitants de Santa Cruz ne sont pas convaincus et se disent prêts à redescendre dans la rue si les promesses du gouvernement ne sont pas inscrites dans la loi. La grève et les manifestations pourraient ainsi reprendre d’ici la fin de l’année.
La crise politique montre à quel point la région de Santa Cruz est de plus en plus influente économiquement et politiquement en Bolivie. Au prochain recensement, le poids politique des autorités locales pourrait s’accentuer à l’échelle nationale et peser dans la balance des élections de 2025.