Mercosur - UE : l'accord reporté et enterré ?

Les exigences environnementales remettent en question le traité de libre-échange

Lula rencontre Emmanuel Macron en marge de la COP28. Ludovic Marin/AFP/Getty Images

Après plus de vingt ans de négociations, la conclusion d’un traité commercial entre l’Union européenne et le Mercosur n’avait jamais semblé aussi proche. Les discussions entre les deux blocs avaient rapidement progressé ces derniers mois. Les présidences tournantes du Brésil au Mercosur et de l’Espagne à l’Union européenne, qui s’achèveront à la fin de l’année, offraient une opportunité rare d’avancer sur le dossier. Une rencontre entre Lula, le président brésilien et Ursula Von der Leyen, la présidente de la commission européenne en marge de la COP28 à Dubaï devait enfin permettre de sceller l’accord.

Toutefois, les commentaires du président français Emmanuel Macron ont laissé entendre que l’accord n’était pas près d’être conclu, pointant du doigt le manque d’engagement de la part du Mercosur sur les questions environnementales :

«Je ne peux pas demander à nos agriculteurs et à nos industriels, en France et partout ailleurs en Europe, de faire des efforts de décarbonation, tout en supprimant d’un coup tous les droits de douane pour faire entrer des marchandises qui ne sont pas soumises à ces règles. »

Le président français faisait en l’occurrence allusion aux nouvelles exigences environnementales imposées en mars dernier par l’UE aux pays du Mercosur. La diplomatie brésilienne avait affirmé avoir répondu à ces exigences mais pour Emmanuel Macron, les engagements pris sont encore loin d’être satisfaisants. Le président français a même rajouté que cet accord était “complètement contradictoire” avec les efforts environnementaux faits par le Brésil et par la France.

Au lendemain des déclarations d’Emmanuel Macron, le vice-président de la Commission européenne a annulé son voyage prévu au Brésil. Un échec pour Lula et pour le Mercosur qui souhaitaient entériner l’accord lors d’un sommet du bloc sud-américain prévu ce jeudi 7 décembre à Rio de Janeiro. Après son passage à la COP28, Lula s’est envolé pour l’Allemagne pour rencontrer Olaf Scholz ce lundi ; le chancelier allemand est pour sa part en faveur de l’accord entre les deux blocs. Les deux chefs d’Etat ont réitéré leur désir de voir cet accord se conclure et Lula a affirmé que l’Union européenne devait désormais décider si elle souhaitait ou non un traité commercial avec le Mercosur.

L’Union Européenne et le Mercosur avaient trouvé un accord en 2019 mais celui-ci n’a jamais été ratifié par les parlements européens, en raison notamment des positions de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro sur la déforestation en Amazonie et la lutte contre le réchauffement climatique. Le retour de Lula au pouvoir devait permettre une reprise du processus mais les nouvelles exigences environnementales demandées par l’Union européenne ont repoussé l’échéance. Le président brésilien et la Commission européenne ont tout fait pour arriver à un accord avant le sommet de Rio de cette semaine, sans succès.

La France est aujourd’hui le principal opposant à ce traité commercial. L’ouverture du marché européen aux exportateurs agricoles sud-américains constitue une menace en particulier pour les agriculteurs français, qui s’inquiètent d’une mise en concurrence démesurée et de pratiques agricoles, notamment au Brésil, qui seraient incompatibles avec les normes sanitaires européennes.

L’accord pourrait augmenter considérablement l’importation en Europe de viande de boeuf sud-américaine (à hauteur de 422 millions d’euros par an d’ici à 2030). Une évolution qui serait contraire avec les engagements environnementaux de l’Union européenne alors que celle-ci fait la promotion d’une agriculture en circuit court (Farm to Fork Strategy) et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à l’élevage.

Du côté sud-américain, le changement d’administration en Argentine ce dimanche 10 décembre empêche la ratification d’un accord rapidement. L’arrivée de Javier Milei à la tête du pays va bousculer les relations diplomatiques entre l’Argentine et le Brésil. La future ministre argentine des affaires étrangères Diana Mondino s’est dite favorable à la conclusion du traité commercial avec l’Union européenne, mais les positions climato-sceptiques de Javier Milei ne semblent pas aller dans le sens d’un plus grand engagement pour la protection de l’environnement, comme exigé par l’Union européenne.

La conclusion de ce “deal” entre l’Union européenne et le Mercosur est donc repoussée à une date ultérieure. Selon un représentant de la Commission européenne, les négociations vont continuer et l’objectif d’arriver à un accord définitif le plus rapidement possible est toujours présent. Mais ces dernières semaines représentaient une opportunité rare pour avancer et l’accord pourrait en réalité être totalement remis en question. Emmanuel Macron a indiqué qu’il se rendrait au Brésil en mars, ce qui pourrait être la dernière occasion pour les deux blocs de s’entendre, avant l’échéance des élections européennes.

S’il est jamais conclu, l’accord entre l’UE et le Mercosur prévoit d’éliminer en dix ans 90% des tarifs douaniers entre les deux blocs, favorisant les échanges, l’intégration des économies et l’accès à des marchés de consommateurs importants : les deux blocs représenteraient une population de 780 millions de personnes. Le marché sud-américain offrirait de nouvelles opportunités pour les produits manufacturés européens et notamment le secteur automobile, raison pour laquelle l’Allemagne y est particulièrement favorable. Pour les pays sud-américains, l’accord serait une opportunité en or pour le secteur agricole et notamment pour les exportateurs de boeuf, de poisson, de sucre, et d’ethanol.

Toutefois, les enjeux de ce traité et du commerce international en général vont désormais au-delà de l’aspect commercial. Les questions environnementales doivent aujourd’hui être prises en compte. Le traité entre l’UE et le Mercosur pourrait être l’occasion pour les pays de prendre d’importants engagements dans ce sens. C’est en tout cas ce que Emmanuel Macron a appeler de ses voeux lors de la COP28, déplorant le fait que l’accord tel qu’il est rédigé aujourd’hui “ne prend pas en compte la biodiversité et le climat en son sein”.

Mais pour le Mercosur, les exigences environnementales demandées par l’UE semblent trop contraignantes. Santiago Peña, le président du Paraguay, qui assumera la présidence tournante du Mercosur en janvier, a déclaré que le bloc “regardait déjà dans une autre direction”, ajoutant que l’Union européenne essayait d’imposer “des mesures qui ne sont pas adaptées” au développement économique des pays du bloc sud-américain. Le président paraguayen a affirmé que sa priorité serait plutôt de finaliser un traité de libre-échange avec Singapour (en passe d’être validé par le Mercosur) et d’avancer sur un même traité avec les Emirats Arabes Unis.

La cohésion reste fragile au sein du Mercosur, divisé sur la stratégie à mener en matière commerciale. Déjà en décembre 2022, le président uruguayen Luis Lacalle Pou avait critiqué l’immobilisme du Mercosur, dont l’agenda avance peu.

L’éventuel échec de ce traité entre l’UE et le Mercosur pourrait être un tournant pour les deux blocs. Il s’agirait d’une opportunité manquée pour l’Union européenne de renforcer sa présence dans une région souvent délaissée par Bruxelles, ce malgré un alignement entre les deux blocs sur plusieurs valeurs et principes : respect de la démocratie, protection de l’environnement, politiques sociales, entre autres. L’Union européenne cherche pourtant à diversifier ses partenaires commerciaux suite à la pandémie du Covid-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Les européens ont conclu un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande cet été et viennent de valider une modernisation de leur traité avec le Chili (voir ci-dessous).

Pour les deux blocs, l’avenir du commerce se fera peut-être de façon plus méticuleuse, en choisissant stratégiquement de s’associer avec certains pays, au cas par cas. Une stratégie qui ne viendrait pas bousculer les équilibres économiques d’un côté (exposition à la concurrence en Europe) comme de l’autre (exigences environnementales trop fortes pour le Mercosur).