Javier Milei, le candidat qui bouscule la politique argentine

À moins de quatre mois des élections présidentielles en Argentine, la campagne est marquée par la candidature de Javier Milei qui bouscule le paysage politique argentin.

Javier Milei célèbre son élection en tant que député en novembre 2021. Photo : Getty Images

Economiste, professeur d’université et élu député pour la première fois il y a deux ans, Javier Milei s'est lancé dans la campagne présidentielle avec un programme économique radical qui suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétudes.

Candidat atypique, qualifié d’ultra-libéral voire d’anarcho-capitaliste, il surfe sur le mécontentement général des Argentins vis-à-vis de la situation économique actuelle et de la classe politique traditionnelle. Le programme radical de Javier Milei a déjà réussi à rassembler une grande partie de la jeunesse argentine, fatiguée de l’instabilité politique et économique du pays.

Un personnage haut en couleurs

Javier Milei a vu sa popularité monter en flèche ces derniers mois. Son parti “La Libertad Avanza” (La Liberté Avance) se plaçait début mai en troisième position des sondages avec 22% des intentions de vote, derrière le Parti Justicialiste du gouvernement (26%) et le parti d’opposition Juntos por el Cambio (32%). Et alors que les autres partis doivent encore clarifier quel sera leur candidat pour l’élection, le score de Javier Milei était en forte progression jusqu’en juin. Selon une enquête d’opinion, il était premier des intentions de vote fin mai. Cette ascension a seulement ralenti depuis la mi-juin, en raison de polémiques et désaccords dans son entourage politique et des résultats décevants pour son parti aux dernières élections locales. Une autre enquête le plaçait deuxième des sondages à la mi-juillet, avec 24% des intentions de vote contre 25% pour Sergio Massa. Les résultats des élections primaires “PASO1, qui se tiendront le 13 août, devraient donner une première indication des dynamiques de chaque candidat.

Javier Milei, 52 ans, a étudié l'économie à l'Université de Buenos Aires avant d'obtenir un doctorat à l'Université de Californie à Los Angeles puis d’exercer en tant que professeur d’économie à l'Université de Buenos Aires et à l'Université catholique argentine. Milei est un économiste libertaire qui s'oppose fermement à l'intervention de l'État dans l'économie. Il est également connu pour son style controversé, ses discours passionnés, parfois agressifs, et ses critiques virulentes à l'encontre de ses opposants politiques. Sa personnalité et son franc-parler lui ont permis une médiatisation forte depuis 2014, dans de nombreuses émissions de télévision où il analysait à couteaux tirés la situation économique et politique argentine.

Pendant des années dans les médias, Javier Milei a réussi à décortiquer et vulgariser les problèmes de l’économie argentine, en faisant l’un des hommes les plus influents de la vie publique en Argentine. Son éloquence sur les problématiques économiques tranche néanmoins totalement avec ses violentes critiques à l’égard de la classe politique argentine, qu’il traite de “voleurs” et de “criminels” à la télévision et aujourd’hui dans ses meetings politiques.

Contre les “gauchistes” du gouvernement qu’il accuse de créer la misère en Argentine et de profiter du système pour s’enrichir, Javier Milei représente une rupture radicale avec le système politique traditionnel en Argentine, qui a longtemps été marqué par l'interventionnisme de l'État et les politiques populistes.

A l’image de Donald Trump ou Jair Bolsonaro, à qui il est parfois comparé, il incarne une nouvelle génération de politiciens qui remettent en cause les fondements mêmes du système politique argentin, en proposant des solutions radicales et souvent controversées. Sa candidature bouscule les lignes partisanes traditionnelles et ouvre un débat important sur l'avenir économique et politique de l'Argentine. En cela, elle trouve un certain écho dans la population, surtout parmi la jeune génération.

Un pays en crise et divisé

L'Argentine traverse une crise politique profonde, marquée par la montée des tensions sociales et économiques. Le président sortant, Alberto Fernandez, a annoncé qu'il ne briguerait pas un deuxième mandat, après avoir vu sa popularité chuter en raison de la crise économique et de la gestion de la pandémie. Après de longues tractations entre différentes figures du kirchnerisme, c’est l’actuel ministre de l’Economie Sergio Massa qui a été choisi par le clan présidentiel pour se présenter aux élections d’octobre.

Le pays est traditionnellement divisé entre deux courants politiques. D’un côté, le Frente de Todos, dirigé par le président actuel Alberto Fernandez et l'ancienne cheffe d'État Cristina Fernandez de Kirchner, incarnant la tradition péroniste. De l’autre Juntos por el Cambio, qui représente l'opposition et dont la figure principale est Mauricio Macri, président entre 2015 et 2019. Ces divisions reflètent les différentes idéologies et visions politiques présentes dans le pays. Bien que les deux coalitions attirent un large éventail de soutiens politiques, la première est davantage caractérisée par un important interventionnisme économique, tandis que la seconde milite plutôt pour une libéralisation modérée de l'économie argentine.

Ces deux coalitions partent néanmoins avec un désavantage initial dans la campagne, principalement en raison de leur bilan économique. Le gouvernement de gauche n’a pas réussi à maitriser l’inflation, à 114,6% sur un an à la mi-juin. Le bilan de l’opposition n’est pas plus brillant puisque Mauricio Macri, qui avait tenté une libéralisation graduelle de l’économie, avait fini par mener le pays au bord du défaut de paiement en 2019. Il avait conclu en septembre 2018 un prêt auprès du FMI pour essayer de sauver sa politique économique, sans succès. De nombreux Argentins renvoient ainsi dos à dos les deux camps, jugés incapables de sortir le pays d’une crise sans fin.

L’économie est bel et bien l’enjeu central de la campagne présidentielle en Argentine. Marquée par une inflation galopante, une monnaie dévaluée et une dette publique abyssale, la situation économique du pays est très fragile et reste suspendue aux renégociations fréquentes du remboursement de la dette de l’Etat envers le FMI. Qui plus est, la sécheresse qu’a connu le pays cet été a fortement impacté les recettes du secteur agricole et par conséquent, les perspectives économiques pour l’année 2023. Face à cette situation, le ministre de l’économie Sergio Massa a obtenu en mars un allégement des objectifs fixés par le FMI pour l’année 2023. Le ministre, désormais candidat, doit se réunir à deux nouvelles reprises avec le FMI d’ici les élections présidentielles.

Selon une étude de l’OCDE de juin 2023, le PIB de l’Argentine devrait chuter de 1,6% en 2023. La crise qui ronge l’économie argentine depuis longtemps a évidemment touché les plus démunis : le taux de pauvreté est aujourd’hui de 39% en Argentine et plus d’un enfant sur deux vit sous le seuil de pauvreté.

Une troisième voie crédible ?

Dans ce contexte de crise économique et de défiance politique, la candidature de Javier Milei représente, pour certains, une alternative crédible et l’espoir de jours meilleurs.

Il promet de libéraliser l’économie notamment en réduisant fortement la taille du secteur public et en supprimant les différentes “entraves” qui pèsent sur le secteur privé. En 2020, l’Institut Argentin d’Analyse Fiscale estimait que 55% des travailleurs en Argentine étaient employés par le gouvernement, alors que le nombre d’emplois se réduisait dans le secteur privé. Javier Milei souhaite également supprimer de nombreuses taxes et restrictions imposées par le gouvernement au fur à mesure des années. Il veut privatiser certaines entreprises publiques, adopter des mesures de rigueur budgétaire et favoriser l’investissement et la création d’emplois.

Mais l’une de ses mesures les plus emblématiques est certainement sa proposition de “dollariser” l’économie argentine. Selon le candidat, abandonner le peso argentin et adopter le dollar américain comme monnaie principale pourrait mettre fin à l’inflation. Une proposition qui a provoqué de nombreux débats en Argentine et qui divise les experts. Pour certains, cette solution pourrait bel et bien mettre fin à l’hyperinflation en l’espace de deux ans. D’autres économistes soulignent en revanche qu’elle signifierait l’abandon par l’Etat argentin et la Banque centrale de tout contrôle sur la politique monétaire et donc le risque de ne pas pouvoir lutter efficacement contre les dérives d’une trop forte libéralisation économique. Cette solution radicale semble cependant avoir gagné du terrain en Argentine et Javier Milei a récemment annoncé qu’il avait réuni les fonds nécessaires pour amorcer ce plan de dollarisation.

Si les propositions économiques de Javier Milei sont en cohérence avec sa posture de “défenseur de la liberté”, il est cependant moins libéral qu’il ne le prétend sur les questions sociales. Il a en effet revendiqué à plusieurs reprises des positions conservatrices sur le droit à l’avortement, sur les thématiques liées au wokisme et sur la reconnaissance des peuples indigènes en Argentine. Des déclarations qui ont parfois ralenti sa dynamique et écorché son image auprès des jeunes.

Les élections primaires “PASO” qui auront lieu le 13 août doivent déterminer pour chaque parti le candidat qui se présentera à l’élection présidentielle d’octobre. Si Javier Milei et Sergio Massa sont assurés de représenter leur parti, une bataille interne se joue encore au sein du parti de l’opposition Juntos por el Cambio. L’ancien président Mauricio Macri, considéré comme l’un des responsables de la crise économique actuelle, a renoncé à se présenter. Plusieurs personnalités ont lancé leur campagne pour les élections primaires ; parmi elles, Horacio Rodriguez Larreta et Patricia Bullrich représentent les deux candidatures les plus sérieuses mais illustrent aussi les divisions au sein du parti, qui navigue entre une opposition traditionnelle et un discours plus radical, se rapprochant de la posture de Javier Milei.

Au vu de la dynamique des différents candidats, l’élection présidentielle devrait se décider lors du second tour2. Les chances de l’emporter pour Sergio Massa sont assez faibles, puisqu’il y a fort à parier que Javier Milei et le candidat de Juntos por el Cambio se soutiendront mutuellement si l’un ou l’autre arrive au second tour face au Frente de Todos. Si Javier Milei venait à se qualifier au second tour, il s’agirait d’un véritable exploit et d’une victoire majeure pour son mouvement, qui pourrait rebattre les cartes du paysage politique en Argentine.

1

Les élections PASO (“primarias, abiertas, simultaneas y obligatorias”) sont les élections primaires qui permettent de définir le candidat de chaque parti. Ces élections donnent en général une bonne indication de la tendance des élections présidentielles.

2

Selon les règles électorales en Argentine, un candidat peut être élu dès le premier tour si il obtient 45% des voix ou 40% avec une avance de dix points sur le second. La configuration actuelle de la campagne semble indiquer qu’aucun candidat ne devrait atteindre 40% des voix.