Amérique latine : quelles perspectives en 2023 ?

Après une année 2022 entre division et résilience, l'Amérique latine fera face en 2023 à un climat plus contraignant et à des choix politiques décisifs.

La résilience des économies latino-américaines

En 2022, l’Amérique latine a montré une certaine résilience aux conditions économiques globales et à deux chocs différents. D’abord, la région a continué à assumer l’impact de la crise sanitaire sur l’économie et les systèmes de santé. La reprise des activités touristiques, de services, un rebond des remesas et de l’emploi ont permis une croissance stable, estimée à 3,5% pour la région en 2022 selon le FMI. Ensuite, le conflit entre la Russie et l’Ukraine a entraîné une hausse du cours des matières premières (hydrocarbures et céréales principalement) qui a profité au secteur exportateur mais qui a également provoqué une hausse générale des prix domestiques et des tensions sur la fourniture en engrais, intrant essentiel pour beaucoup de pays de la région.

L’inflation a parfois battu des records, notamment au Chili et au Brésil et a provoqué plusieurs changements de ministres en Argentine, pays qui devrait connaître un taux d’inflation autour de 90% sur l’année 2022. Ce climat qui a touché toute la région a été à l’origine de nombreux mouvements sociaux, grèves, blocages et d’une contestation des gouvernements, en particulier au Pérou, en Equateur et en Bolivie. Malgré cela, l’impact de l’inflation a été plutôt maitrisée dans la région, ce grâce à l’anticipation des banques centrales dans la région qui avaient amorcé un cycle de hausse des taux d’intérêts dès 2021 ; sans quoi l’inflation aurait été bien plus importante en 2022.

L’année 2021 avait vu le retour des investissements directs étrangers en Amérique latine à un niveau presque égal à celui de 2019, avec une forte hausse dans le secteur des ressources naturelles. Les investissements étrangers en 2022 se sont concentrés sur des secteurs de plus en plus dynamiques pour la région comme les telecoms, les énergies renouvelables et l’automobile. Toutefois, les chiffres confirment une tendance à la baisse depuis une dizaine d’années des IDEs dans la région.

Un nouveau virage à gauche ?

Sur le plan politique, la région a vu l’arrivée au pouvoir de nouvelles personnalités progressistes, laissant penser à un nouveau “virage à gauche”. En réalité, la tendance constatée est d’avantage celle d’un rejet des gouvernants en place. En effet, sur les quinze dernières élections présidentielle dans la région, le ou la président(e) sortant(e) n’a pas été réélu(e).

La crise sanitaire, son lourd tribut humain et son impact sur l’accroissement des situations précaires et des inégalités a de fait poussé vers la sortie les responsables politiques en place, laissant parfois leur chance à de nouvelles figures porteuses de réformes ambitieuses. Au Chili, Gabriel Boric a ainsi conclu sa première année de mandat, marquée par le rejet du projet de nouvelle Constitution le 4 septembre dernier. En Colombie, l’élection de Gustavo Petro, premier président de gauche du pays, marque un tournant historique pour le pays et la région. La première étape de son programme ambitieux, une réforme fiscale d’envergure, a récemment été votée. Celle-ci devrait permettre de financer des réformes sociales en 2023 afin de réduire les inégalités en Colombie. Au Brésil, c’est l’ancien président Lula qui signe son retour, après avoir remporté une élection serrée face à Jair Bolsonaro. Sa victoire marque ainsi le retour d’une figure emblématique de la gauche latino-américaine à la tête du plus grand pays de la région.

Des sociétés toujours plus divisées

L’année 2022 a montré à quel point la polarisation entre progressistes et conservateurs est de plus en plus importante en Amérique latine. Les élections en Colombie ont été marquées par l’échec historique de la droite modérée alors que celles au Brésil ont dévoilé une violence extrême et l’incapacité des deux camps à s’écouter ; certains supporters de Jair Bolsonaro restent d’ailleurs persuadés que l’élection a été truquée. Au Pérou, la destitution de Pedro Castillo et le rejet de la vice-présidente Dina Boluarte montrent également une division profonde politique et territoriale, dans un contexte de défiance envers les institutions et d’impossibilité à gouverner. En Argentine, la tentative d’assassinat sur la vice-présidente Cristina Kirchner est là aussi un signe de la violence politique qui règne dans le pays.

La radicalisation de la vie politique mène parfois a une montée de l’autoritarisme de la part des gouvernements. C’est notamment le cas en Amérique centrale où certains leaders en place ont visé à renforcer leurs place au pouvoir.

Au Salvador, la politique sécuritaire de Nayib Bukele a conduit à l’arrestation d’environ 100.000 personnes en 2022. Fort d’un taux d’approbation élevé, le président a déclaré vouloir se présenter à un nouveau mandat en 2024, contrairement à ce que prévoit la Constitution. Au Guatemala, l’arrestation du journaliste José Rubén Zamora en juillet dernier a été perçue comme un avertissement envoyé aux critiques du gouvernement d’Alejandro Giammattei, avant les élections présidentielles de 2023. La persécution des journalistes a continué au Nicaragua sous l’autorité de Daniel Ortega alors qu’au Mexique, l’année 2022 a été marquée par de nombreux assassinats de journalistes et l’impuissance du pouvoir face à ces meurtres. Le président AMLO est d’ailleurs vivement critiqué pour avoir fait passer une réforme du système électoral qui devrait conférer au pouvoir exécutif d’avantage de prérogatives dans le choix des membres de l’autorité électorale.

Changement de cap pour la diplomatie américaine

Sur le plan régional, l’année 2022 a été marquée par le changement de stratégie des Etats-Unis et de la Colombie avec le Venezuela. Poussée par les tensions sur l’approvisionnement en hydrocarbures et l’échec des sanctions économiques, Washington a initié un rapprochement avec Caracas, qui a permis la levée de certaines sanctions et la reprise des opérations de Chevron au Venezuela. L’arrivée de Gustavo Petro en Colombie et de Lula au Brésil ont fourni un contexte idéal pour renforcer la position de Nicolas Maduro et pour la reprise d’un dialogue avec les représentants de l’opposition.

Les tensions diplomatiques autour du Sommet des Amériques, organisé en juin dernier à Los Angeles, ont illustré l’échec de la diplomatie américaine dans la région. Le boycott du Mexique, par solidarité avec les pays non invités, a souligné le décalage des pays de la région avec une doctrine américaine dépassée et conflictuelle. Cet échec semble avoir été acté par Joe Biden. D’autant plus que les Etats-Unis ont connu en 2022 une immigration record, provenant principalement du Nicaragua, du Guatemala, du Venezuela et de Cuba. Une situation qui constitue un sujet de politique interne de plus en plus brûlant pour l’administration de Joe Biden et qui doit pousser Washington à renouer le dialogue avec des pays qui faisaient jusque-là l’objet de sanctions économiques.

Décélération de la croissance en 2023

En 2023, les économies latino-américaines devraient connaître une décélération de leur croissance, estimée à 1,7% pour la région selon le FMI. Impactée par le climat international et notamment la hausse du taux directeur de la Federal Reserve, la région devra s’ajuster à un environnement plus difficile et à une normalisation des cours des matières premières. Les banques centrales devront procéder à une baisse progressive des taux directeurs, qui ne devrait pas se faire avant le second semestre. De plus, la perspective d’une récession aux Etats-Unis, en Europe mais aussi en Chine, pourrait avoir un fort impact sur la région et les pays les plus liés avec ces économies tels que le Mexique, le Brésil, l’Equateur, le Pérou ou encore le Costa Rica.

Dans ce contexte, l’accès aux financements internationaux sera réduit, ce qui pourrait s’avérer problématique alors que les pays de la région ont dû s’endetter ces dernières années pour amortir l’impact de la crise sanitaire et que certains nouveaux dirigeants ont annoncé d’importantes dépenses à venir. Les gouvernements en place devront ainsi ajuster leurs politiques fiscales afin de se donner de la marge de manœuvre.

Le climat international continuera d’affecter les secteurs agricole, énergétique et du transport. Les gouvernements devront manœuvrer avec précaution pour baisser ou supprimer les subventions mises en place pour l’approvisionnement en hydrocarbures et en engrais. Sans quoi, de nouveaux blocages et mouvements de grèves, tels qu’ils ont eu lieu en Bolivie, pourraient voir le jour.

En 2023, l’Amérique latine pourrait toutefois sortir son épingle du jeu. En effet, l’anticipation des banques centrales place les économies de la région dans une bonne position, a priori. De plus, le risque de récession pourrait rediriger des flux de capitaux vers l’Amérique latine où certains secteurs restent particulièrement attractifs. C’est par exemple le cas de la filière du lithium au Chili, en Argentine et en Bolivie. Les trois pays disposent de réserves importantes et ont récemment amorcé des projets d’exploitation. Au Mexique, la construction automobile pourrait profiter de la demande américaine en voitures électriques, après les investissements concédés par Washington dans ce secteur. Plus globalement, les énergies renouvelables, les télécoms et le digital devraient conserver leur dynamisme en Amérique latine.

Les démocraties sur un fil

En 2023, la région restera fortement vulnérable aux crises politiques. Le renouveau politique constatée en 2022 et la résilience des processus démocratiques et constitutionnels seront mis à l’épreuve d’une conjoncture globale et locale plus délicate à appréhender.

Suite à la grave crise institutionnelle au Pérou, la présidente Dina Boluarte a concédé l’organisation d’élections présidentielles anticipées en 2023 (prévues initialement en 2026). Elle devra préparer cette échéance dans un climat hostile, alors que sa légitimité est contestée et que des manifestations violemment réprimées ont provoqué la mort d’une vingtaine de personnes en décembre. Au Brésil, Lula qui a pris ses fonctions ce 1er janvier, souhaite réconcilier les Brésiliens et gouverner pour tous. Il devra néanmoins manœuvrer pour réussir à faire passer des réformes sociales d’envergure alors que l’opposition sera majoritaire au Congrès. De plus, l’avenir de Jair Bolsonaro, encore très influent dans la politique brésilienne, pourrait aussi être déterminant dans le bon déroulé de la démocratie. Au Chili, Gabriel Boric doit mettre en place un nouveau comité constitutionnel, qui proposera un projet de nouvelle Constitution. Le président semble avoir entendu les critiques qui demandent un texte plus équilibré et réaliste que le précédent ; un nouveau référendum est prévu pour la fin 2023.

En Colombie, Gustavo Petro a relancé les négociations pour une “paix totale” avec les groupes armés et notamment l’ELN et essaye actuellement d’établir un cessez-le-feu de six mois avec la quasi totalité des groupes armés colombiens. La suite de son mandat pourrait être fortement impactée par la réussite de ces négociations. Début février, les Equatoriens devront se prononcer par référendum sur une réforme constitutionnelle. Celle-ci vise à renforcer les pouvoirs de l’armée dans la lutte contre le trafic de drogue, réduire le nombre de députés et protéger les ressources hydrauliques du pays. Là aussi, après de longues négociations conduites en 2022, cette échéance sera déterminante pour la crédibilité politique du président Guillermo Lasso.

Enfin, des élections présidentielles auront lieu au Paraguay, au Guatemala et en Argentine, trois pays dont les leaders ont fait l’objet d’enquêtes pour corruption. La campagne présidentielle s’annonce particulièrement agitée en Argentine où le gouvernement d’Alberto Fernandez est très critiqué. La vice-présidente Cristina Kirchner a été condamnée pour administration frauduleuse en décembre dernier et le président Fernandez s’est depuis lancé dans une lutte de pouvoir contre la Cour Suprême.

Vers une relance du régionalisme ?

Sur le plan régional, le “virage à gauche” de 2022 laisse espérer une nouvelle dynamique régionale, en particulier sur les thématiques environnementales et commerciales. Le retour de Lula au Brésil pourrait permettre au pays de retrouver son rôle de protagoniste régional et international, notamment en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. L’une des premières décisions du président brésilien a d’ailleurs été de restaurer le Fonds pour l’Amazonie. Une relance des processus régionaux tels que le Mercosur et l’Unasur pourrait aussi voir le jour. Mais cette hypothèse repose fortement sur le leadership du Brésil et sa capacité à ramener à la table des négociations des gouvernements souvent plus préoccupés par les problématiques internes. De plus, face à un continent particulièrement désuni ces dernières années, certains pays ont privilégié des partenariats commerciaux extrarégionaux. C’est le cas du Chili qui vient de renouveler un accord de libre-échange avec l’Union européenne et de l’Uruguay qui souhaite intégrer le Partenariat Transpacifique et envisage un accord bilatéral avec la Chine.

Enfin, l’année 2023 pourrait également être celle du retour du Venezuela aux premiers plans dans la région. Le changement de ton de la diplomatie américaine vis-à-vis du régime de Nicolas Maduro a permis un premier rapprochement ces derniers mois et la levée de certaines sanctions. La reprise des négociations avec les représentants de l’opposition est un autre pas significatif dans ce sens. L’opposition colombienne a officiellement écarté Juan Guaido ces derniers jours et souhaite établir les conditions adéquates pour une participation aux élections présidentielles de 2024. La normalisation des relations entre le Venezuela et les Etats-Unis devrait ainsi se poursuivre puisqu’elle profite pour l’instant à Nicolas Maduro et au redressement économique du Venezuela.