Le Brésil se prépare à un second tour serré
Les élections présidentielles au Brésil ont déjoué les pronostics en plaçant Jair Bolsonaro a seulement 5 points de Lula. Le pays paraît plus que jamais divisé à l'approche du second tour.
Ce dimanche 2 octobre, les Brésiliens étaient appelés aux urnes pour le premier tour d'élections générales très attendues. Si les résultats ont placé Lula en tête comme prévu, ils ont déjoué les pronostics quant au score de Jair Bolsonaro. Le président sortant a enregistré un score de 43,2% contre 48,4% pour Lula, alors que les sondages prévoyaient un écart de 10 à 15 points entre les deux candidats.
Les résultats remettent en question la pertinence des sondages puisque le vote pour Jair Bolsonaro semble avoir été largement sous-estimé, à l’échelle nationale comme locale. Il est possible que les instituts de sondage aient parié sur un déclin du soutien au président sortant mais aussi qu’une partie des militants de Bolsonaro n’aient pas osé exprimer leur intention de vote lors de ces enquêtes d’opinion.
En créant la surprise par un score plus élevé que prévu, Jair Bolsonaro a d’ores et déjà signé une victoire électorale significative. Son mouvement semble désormais bien ancré au Brésil et son Parti Libéral est arrivée en tête au Congrès, avec près de 20% des sièges. Certaines personnalités du camp Bolsonaro, pourtant très critiquées, décrochent également des victoires importantes à des postes clés : Claudio Castro a été élu gouverneur de Rio de Janeiro et Tarcisio Freitas a créé la surprise en arrivant en tête au premier tour à Sao Paulo. Freitas, ancien ministre de l’agriculture de Jair Bolsonaro, a déjoué les pronostics en devançant Fernando Haddad, proche de Lula. Il est désormais en bonne position pour devenir le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, le plus riche du Brésil.
Tous ces résultats montrent la progression d’une droite de plus en plus extrême au Brésil, décomplexée et qui “s’institutionnalise”. Ils montrent aussi à quel point le pays est plus que jamais polarisé. Les autres candidats sont loin derrière (Simone Tebet : 4,16% ; Ciro Gomes : 3,04%) et cumulent moins de 9% des suffrages exprimés, indiquant l’échec des partis centristes et de la perspective d’une troisième voie plus modérée. Le scrutin montre aussi une forte division géographique, raciale et économique entre les deux camps : le sud du Brésil, qui regroupe la filière agricole exportatrice, les classes blanches et riches a voté majoritairement pour Bolsonaro, alors que le Nord, plus métissé, ouvrier et moins riche a voté pour Lula.
Cette polarisation et la montée de l’extrême droite s’expliquent par plusieurs facteurs et notamment le cycle de ralentissement économique qu’à connu le Brésil ces dernières années. Après une période faste entre 2003 et 2012, les conditions économiques se sont dégradées au Brésil et le pays a connu plusieurs périodes de récession. Un contexte qui a alimenté l’inquiétude des brésiliens et notamment celle d’une classe moyenne qui voyait certains de ses privilèges et valeurs menacés. La situation a également favorisé la montée en puissance des cercles religieux évangélistes, représentant la “voie du salut” pour une partie de la population. De plus, l’affaire Lava Jato (ou “Car Wash”) a révélé en 2016 la corruption systémique qui existait au sein de l’appareil étatique brésilien et notamment au sein du Parti Travailliste. Cette défiance accrue envers la classe dirigeante et une grande inquiétude par rapport à l’avenir ont propulsé l’arrivée de Jair Bolsonaro en 2018.
Durant son mandat, Jair Bolsonaro a répondu à cette inquiétude en désignant les minorités, les classes les plus pauvres et les élites politiques comme les raisons des problèmes du Brésil. La conjoncture économique ne s’est pas améliorée, notamment à cause de la crise du Covid-19. Et la crise alimentaire mondiale à laquelle le Brésil est fortement exposé est un nouveau facteur de risques pour le pays. Ainsi, il n’est pas étonnant que le soutien à Jair Bolsonaro soit encore fort, ce malgré un discours radical, une politique sécuritaire ayant provoqué une escalade de la violence et une gestion calamiteuse de la crise sanitaire (plus de 600.000 morts au Brésil) pour laquelle le président brésilien a été accusé de crimes contre l’humanité par le Sénat. Entre les progressistes soutiens de Lula et les conservateurs du camp Bolsonaro, l’incompréhension règne et le dialogue semble aujourd’hui impossible, comme l’ont montré les différents débats télévisés, quasi inaudibles, avant le premier tour.
Ce sont donc deux visions opposées du Brésil qui s’affronteront lors du second tour des élections présidentielles, le 30 octobre prochain, dans un contexte particulièrement tendu. Si Lula dispose d’une avance de cinq points à l’issue du premier tour, celle-ci pourrait fluctuer en fonction des soutiens que chaque candidat réussira à rallier. Lula peut compter sur le soutien de Simone Tebet, arrivée en troisième place dimanche dernier. Ciro Gomes, quatrième de l’élection présidentielle, a sous-entendu qu’il soutiendrait Lula sans le nommer directement. L’ancien président a aussi enregistré le soutien sans équivoque de Fernando Henrique Cardoso, président du Brésil dans les années 1990. De son côté, Jair Bolsonaro a réussi à rallier à sa cause les gouverneurs de trois Etats importants pour le scrutin final : ceux de Sao Paulo, Rio de Janeiro et Minas Gerais. Les votes dans l’Etat de Minas Gerais seront particulièrement surveillés puisqu’il s’agit du principal “swing state” brésilien et que depuis le retour de la démocratie au Brésil, le candidat qui remporte cet Etat, a toujours remporté le scrutin national.
Si les consignes de vote sont respectées, Lula devrait tout de même l’emporter au second tour. Cependant, la campagne est encore longue jusqu’au 30 octobre et le premier tour a montré que les sondages n’étaient plus fiables. Il y a de fortes chances que le résultat final soit serré et beaucoup se demandent si le perdant saura reconnaître sa défaite. C’est notamment le cas en ce qui concerne Jair Bolsonaro, qui depuis de nombreux mois a alimenté les soupçons de triches de la part du camp adverse et a exprimé sa défiance envers le système électoral brésilien. Les résultats du second tour pourraient plonger le pays dans une crise institutionnelle profonde et même si la victoire de Lula est nette, l’ancien président devra composer avec un Congrès où le camp de Jair Bolsonaro sera majoritaire.