La "paix totale" possible en Colombie ?

Un mois et demi après son intronisation, Gustavo Petro a ouvert un dialogue avec les différents groupes armés présents en Colombie, avec l’ambition d’atteindre une “paix totale” dans le pays.

L’initiative souhaitée par Gustavo Petro consiste à aller plus loin que le Traité de Paix de 2016 négocié avec les FARC, alors le principal groupe armé en Colombie. Cet accord avait permis l’abandon des armes par les FARC. En échange, le gouvernement colombien de Juan Manuel Santos s’était engagé à investir dans les territoires occupés par les rebelles, à accorder une amnistie partielle à leurs dirigeants et à réserver aux FARC cinq sièges au sein du Congrès colombien. A l’époque, cet accord avait été critiqué par une bonne partie de la population comme étant trop généreux envers un groupe armé engagé dans un conflit avec l’Etat colombien depuis 52 ans et qui avait fait 200.000 morts.

Six années plus tard, force est de constater que l’accord de 2016 est insuffisant. La Colombie connaît aujourd’hui une recrudescence de la violence : l’année 2021 a été particulièrement meurtrière, avec 13.709 homicides enregistrés, soit le niveau le plus haut depuis 2013. Cette situation s’explique principalement par le fait que l’accord de 2016 n’a traité le problème que partiellement en estimant que négocier la paix uniquement avec les FARC réglerait le problème de la violence en Colombie. De plus, l’ex-président Ivan Duque n’a pas réussi à prolonger cette initiative et sous son mandat (2018 - 2022), les factions dissidentes des FARC ainsi que d’autres milices comme l’ELN (Armée de Libération Nationale) ont comblé le vide laissé par les FARC. L’ELN, composé d’environ 2.500 soldats, est aujourd’hui le groupe armé le plus important d’Amérique latine. Il s’est particulièrement développé au moment de la crise sanitaire, en s’installant dans des territoires où l’Etat colombien était absent.

Dans ce contexte, Gustavo Petro souhaite reprendre des négociations de paix avec comme ambition celle de rassembler tous les acteurs autour d’une même table. Le nouveau président de la Colombie a proposé de mettre en place un “cessez-le-feu multilatéral” et d’engager des discussions avec plus de 25 groupes rebelles différents, dont l’ELN, les membres dissidents des FARC, ainsi que le Cartel du Golfe. Gustavo Petro a d’abord bénéficié d’une dynamique positive puisque ces trois groupes en particulier ainsi que d’autres moins importants ont fait part de leur volonté de discuter avec le nouveau gouvernement.

Malheureusement, ce contexte semble favoriser les guerres de territoires entre les différents cartels et groupes armés, chacun souhaitant consolider ses positions avant l’ouverture de négociations. Par conséquent, les homicides ainsi que les attaques contre les forces de police ont augmenté depuis la prise de fonctions de Gustavo Petro.

Le nouveau président de la Colombie se trouve donc dans une situation délicate. Même si les groupes armés semblent disposés à amorcer des négociations avec le gouvernement, la “paix totale” ne se fera pas si simplement. Pour y arriver, Gustavo Petro devra concilier les intérêts de nombreux groupes rebelles différents, tout en conservant le soutien de sa majorité et en réussissant à convaincre les forces de police et l’armée de se joindre à cette initiative. Il devra également compter sur un soutien international qui dépasse celui du Venezuela et de Cuba. En ce sens, le président du Chili, Gabriel Boric et le premier ministre de l’Espagne, Pedro Sanchez ont tous les deux exprimé leur soutien à Gustavo Petro.

La tâche s’annonce donc extrêmement difficile pour Gustavo Petro. Premier président de gauche de la Colombie, ses positions sur le Venezuela et la dépénalisation de la consommation de stupéfiants de drogues font de lui un interlocuteur de choix pour engager une discussion avec les groupes rebelles. Mais l’ambition qu’il porte est aussi un risque; celui d’un échec des négociations avec toutes ou partie des factions armées, qui pourrait alors engendrer une nouvelle guerre des territoires en Colombie.