Uruguay : les défis de Yamandú Orsi
Le 1ᵉʳ mars 2025, Yamandú Orsi a officiellement pris ses fonctions en tant que président de l’Uruguay, mettant fin à cinq années de gouvernement de centre-droit sous Luis Lacalle Pou. Son arrivée au pouvoir marque le retour du Frente Amplio (FA), la coalition de gauche, aux commandes du pays après une alternance menée dans un climat politique apaisé.
Yamandú Orsi est devenu président de l’Uruguay officiellement ce samedi 1er mars 2025 - Photo : Santiago Mazzarovich / AFP
Cependant, si l’Uruguay est souvent salué pour sa stabilité institutionnelle et son consensus démocratique, les défis qui attendent Orsi sont nombreux. Il devra à la fois gérer des attentes sociales croissantes, maintenir l’équilibre économique du pays et naviguer dans un contexte géopolitique complexe, marqué par les tensions entre les États-Unis, la Chine et le Mercosur.
Une transition politique exemplaire malgré une élection serrée
En Amérique latine, l’Uruguay est traditionnellement considéré comme un modèle de démocratie, notamment parce que les transitions droite-gauche se déroulent sans tensions, au contraire. La tradition de consensus démocratique fait la force du pays et lui permet de conserver une stabilité politique et économique. La passation de pouvoir entre Luis Lacalle Pou et Yamandú Orsi n’a pas échappé à cette règle et s’est faite dans un cadre institutionnel serein, avec une élection reconnue par toutes les parties et une cérémonie d’investiture marquée par un échange respectueux entre les deux hommes.
Ce climat apaisé ne signifie pas pour autant que l’élection a été sans enjeu. Orsi a remporté une victoire serrée face à Álvaro Delgado, candidat de la coalition de centre-droit, dans un contexte où les électeurs se sont montrés partagés entre la volonté de poursuivre la stabilité économique et la nécessité d’accroître la justice sociale. Le faible écart de voix témoigne d’un pays politiquement modéré, mais où les attentes divergent.
Le nouveau président a insisté sur sa volonté d’incarner une "gauche moderne", cherchant à maintenir les avancées économiques du pays tout en renforçant les politiques sociales et la lutte contre les inégalités. Cependant, cette ligne de crête entre réalisme économique et pressions sociales sera difficile à tenir, d’autant que son propre camp est traversé par des divisions internes.
Un modèle économique sous pression
L’Uruguay est l’un des pays les plus développés d’Amérique latine, avec un PIB par habitant parmi les plus élevés de la région et une économie en croissance modérée (+2,5 % prévus en 2025). Cependant, cette stabilité cache des faiblesses structurelles :
Un marché du travail rigide et coûteux : Le coût du travail et la fiscalité pèsent sur la compétitivité des entreprises, limitant la création d’emplois.
Une croissance économique insuffisante : La progression du PIB uruguayen depuis 2019 (+6 %) est inférieure à celle de la moyenne latino-américaine (+9 %), en raison notamment d’une sécheresse ayant affecté l’agriculture.
Une inflation persistante : Bien qu’en baisse grâce à une politique monétaire stricte, l’inflation reste supérieure aux objectifs de la Banque centrale.
Orsi a nommé Gabriel Oddone, un économiste modéré, au poste de ministre de l’Économie, un signal envoyé aux marchés pour rassurer sur la continuité de la rigueur budgétaire. Il devra néanmoins arbitrer entre stabilité financière et pressions sociales.
En effet, le principal défi interne d’Orsi ne viendra peut-être pas de l’opposition, mais de sa propre coalition et des syndicats. Le PIT-CNT, la principale confédération syndicale du pays, pousse pour des réformes ambitieuses :
Réduction du temps de travail de 48 à 40 heures sans baisse de salaire.
Baisse de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans.
Augmentation des pensions au niveau du salaire minimum.
Alors que ces revendications ont échoué lors d’un référendum en 2024, l’aile la plus progressiste du Frente Amplio souhaite les remettre sur la table maintenant qu’un gouvernement de gauche est au pouvoir. Néanmoins, Orsi, son ministre de l’Économie et une partie des centristes de sa coalition jugent ces mesures trop coûteuses. Il devra donc résister aux pressions internes tout en évitant un bras de fer avec les syndicats, qui ont déjà organisé une grève en février pour rappeler leurs exigences.
Un équilibre délicat sur la scène internationale
Si l’Uruguay jouit d’une stabilité enviable en Amérique latine, Orsi devra naviguer avec prudence entre les tensions géopolitiques croissantes et les intérêts économiques du pays.
L’un des principaux défis sera l’équilibre entre la Chine et les États-Unis. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Uruguay, en particulier pour les exportations de soja et de bœuf. Mais Washington exerce une pression croissante pour limiter l’influence chinoise dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures et la télécommunication. Orsi devra donc préserver les liens commerciaux avec Pékin sans compromettre la coopération sécuritaire et technologique avec Washington.
Au sein du Mercosur, Orsi fera face à des dissensions entre le Brésil de Lula et l’Argentine de Milei. Tandis que Lula prône un Mercosur plus intégré, Milei envisage un assouplissement des règles pour permettre des accords bilatéraux. Orsi pourrait tirer parti de ces tensions pour négocier plus de flexibilité pour Montevideo, notamment dans ses discussions avec la Chine.
Enfin, l’accord de libre-échange Mercosur-Union européenne offre une opportunité pour diversifier les exportations uruguayennes. Orsi devra veiller à ce que son pays en profite pleinement, tout en consolidant ses relations avec des partenaires régionaux comme le Chili et la Colombie.
Dans un contexte mondial incertain, la diplomatie uruguayenne devra maintenir sa tradition de neutralité et de pragmatisme, en évitant d’être entraînée dans les rivalités entre grandes puissances tout en défendant ses intérêts économiques.